Shining (1980)
Réalisé par Stanley Kubrick
9,5/10
Le film de Stanley Kubrick est très certainement la plus mauvaise adaptation du roman de Stephen King et pour cette raison même un véritable chef d’œuvre qui transcende l’œuvre originale. En évacuant les thèmes de Stephen King : la désagrégation de la cellule familiale et l’alcoolisme, Kubrick bouleverse la psychologie des personnages du roman et le spectateur n’a désormais plus aucune raison pour excuser le comportement de Jack. Il nous propose une véritable plongée au cœur de la folie provoquée par les ravages de l’angoisse de la page blanche, de la claustrophobie et du repli sur soi-même. Une peur assurément partagée par nombre de réalisateurs et d’artistes.
Si , j’apprécie tant
Shining, c’est probablement, parce que c’est le seul film de
Kubrick où j’ai l’impression qu’il se livre un peu en tant qu’artiste, où il réussit à faire partager des sentiments, même si ce sont des sentiments d’effroi, d’oppression et de terreur. Dans tous les autres films que j’ai vu de lui, il apparaît tellement distant et tellement détaché, ne s’intéressant qu’à la perfection du cadrage ou de l’image que je ne parviens pas à me passionner pour ce que je vois à l’écran. Pour moi, Jack, c’est un peu le « côté obscur » de
Kubrick. Dans
Shining, l’isolement se révèle paradoxalement l’ennemi de la création. L’artiste se retrouve seul face à ses craintes, ses angoisses, ses interrogations et sombre progressivement, se déconnectant de la réalité. Il faudrait donc savoir observer le monde pour créer.
L’isolement et la solitude, sont les premières impressions qui s’imposent au spectateur, dès le générique, avec cette voiture qui chemine sur cette route sinueuse, comme « écrasée » par l’immensité des paysages qui défilent à perte de vue. Un point minuscule, perdu au milieu de la nature majestueuse. Curieusement, cette immensité crée un sentiment de claustrophobie qui ira crescendo dans l’hôtel Overlook déserté et enneigé, accentué encore par la musique oppressante et par des effets de bruitage et de mise en scène qui jouent avec nos nerfs. A l’exemple, de ces véritables moments « d’apnée du son », lorsque les roues du « tricycle » de Danny qui parcoure inlassablement les couloirs, alternent entre le crissement des roulements sur le sol et l’étouffement feutré des tapis. Une pulsation d’instants avec son et sans son absolument crispante.
Peu à peu s’insinue le sentiment d’être devenu prisonnier de l’Overlook, de ce monde clos, autarcique et ordonné. Comme dans un jeu de miroir et de symétrie, la vie autarcique dans l’hôtel devient le reflet du repli sur lui-même de Jack. Les jeux de symétrie et les formes géométriques sont omniprésentes, apparaissant comme un symbole de l’enfermement et de la difficulté à trouver la voie pour s’échapper : dans les décors des tapis, des sols et des tapisseries, dans les maquettes, l’agencement des meubles ou encore dans le labyrinthe.
La réussite du film repose également sur une progression du « fantastique » par petite touche qui permet d’encrer le film dans le réel. Ici, point d’effusion gore, ni de tueur en série « surhomme » et aux capacités quasi « surnaturelles » comme dans les slashers, juste la progression d’un homme ordinaire dans la folie qui le mène vers la fureur homicide. Un destin inexorable, appuyé par l’usage des travellings arrières, notamment lorsque Jack poursuit Danny dans le labyrinthe.
La tension est palpable et s’accroit constamment, dans les relations entre les personnages ou plutôt dans l’absence de communications entre Wendy et Jack, dans les éclairages intenses et la neige immaculée, dans les apparitions de ces jumelles qui nous font chaque fois sursauter, ou encore dans cet angle de prise de vue au ras du sol (lorsque Jack enfermé dans la réserve révèle à Wendy toute sa folie) qui distille un profond sentiment de malaise tant on a alors l’impression d’être éclaboussé par sa démence. Plus Jack sombre dans la démence, plus l’hôtel sort de sa torpeur et ne cesse de « s’étendre » vers de nouvelles pièces, de nouveaux étages, comme s’il était en construction perpétuelle, plus le temps semble ne plus s’écouler, se confondre entre passé et présent. Les apparitions se multiplient, la Gold Room s’anime, Jack est libéré de la réserve, Wendy voit des fantômes….. Si le doute était permis entre de simples manifestations de l’inconscient tourmenté de Jack ou des fantômes peuplant un hôtel hanté, plus l’histoire progresse, plus on s’achemine vers la seconde interprétation.
La réussite de
Shining repose enfin sur l’interprétation « habitée », totalement hallucinée de
Jack Nicholson, flippant à souhait. A le voir dans le Making of, on se demande si c’est vraiment une interprétation, tant il semble à l’aise dans ce rôle de psychopathe et ne semble pas le quitter même hors tournage. Alors que l’on ressent à quel point
Shelley Duvall est perturbée par la pression de son rôle et l’ambiance qui règne sur le tournage,
Nicholson semble comme un poisson dans l’eau.
On regrettera juste, ce générique bleu pastel aux allures de téléfilm qui ne s’accorde pas avec le ton du film. Pour le reste, Shining est un chef d’œuvre d’horreur psychologique, l’un de ces rares films à m’avoir réellement angoissé et stressé, pendant un long moment, après sa première vision.