Goyokin (Hideo Gosha - 1969) 9/10
Magobei Wakizaka est un samouraï qui a fui son clan après que ce dernier aie exécuté tout un village de pêcheurs pour masquer un crime. Hanté par le regret de n'avoir pas empêché le crime, il apprend que son clan va recommencer. Aussi, refusant de laisser commettre un nouveau massacre d'innocents, n'a-t-il pas d'autre choix de se dresser contre ses anciens frères.
Un film à l'image superbe
Une utilisation des décors naturels qui rapproche le film des estampes
Avant d'aborder le fond, il faut commencer par dire combien Goyokin est un beau film, superbement éclairé et, surtout, magnifiquement cadré. Gosha multiplie les figures de style, grand plans larges, jeu sur la profondeur de champs, les contrastes, et magnifie la chorégraphie de ses combats en une danse de mort terrifiante, soulignée, tantôt par le masque mortuaire de Tatsuya Nakadai, tantôt par divers éléments extérieurs (corbeaux, feux, danses masquées et percussions...). Les décors extérieurs sont fort bien exploités, notamment la neige qui est ici omniprésente (et le tournage s'est clairement fait avec de la vraie neige, tant on voit combien les comédiens ont froid), mais aussi les ruines que l'on croise régulièrement dans ce Japon dont toutes les valeurs, en réalité, sont en ruine : vitres de papier brisées, étoffes battues au vent... Même en dehors des combats, la mort est partout présente.
Un film amer et désanchanté
Magobei, véritable machine à tuer, se considère lui-même comme mort. La mise en scène le place ici aux cotés d'une de ses victimes, qu'il tue dans une approche presque intime
Goyokin est un chambarra, mais un chambarra crépusculaire : il nous chante la fin du monde des samouraïs, la disparition de leurs valeurs (pour protéger le clan, ils sont prêts aux pires bassesses). Mais tout l'ensemble du film adopte ce ton sombre : le shogun ne vaut pas mieux (même ses espions le détestent). Les paysans, ceux qu'on défend ici, appartiennent à une plèbe qu'on voit à plusieurs reprises dans le film veule, violente (bandes de brigands) ou livrée à ses bas instincts (ainsi, magobei sauve une jeune femme de ce qui aurait pu finir en viol collectif).
Le héros, à la fin, ne part pas vers le soleil couchant, mais vers le néant, englouti par une neige abondante. La chorégraphie mortuaire du film est scandée, notamment dans la séquence finale, par des percussions violentes et pessimistes, animées par des musiciens dont les masques semblent ajouter au cynisme du récit...
Les quatre éléments, eau, feu, air et terre sont ici convoqués en témoins de la fin d'un monde, un monde destiné à disparaître dans la neige.
Une interprétation sans faille
Le visage d'un homme hanté par son passé et par les crimes qu'il a laissé faire
Au final, en plus d'être filmé avec un immense talent et d'aborder sur un mode mortifère un thème sombre, Goyokin est aussi l'occasion d'offrir à Tatsuya Nakadai, immense comédien japonais (la condition de l'homme, Ran, Hara-kiri, sont parmi les joyaux d'une carrière foisonnante), l'un de ses meilleurs rôles, et d'offrir, à mes yeux, un visage à la figure désormais classique du samourai désanchanté. Parfait dans son errance désespérée, dans son approche amoureuse (il est marié à la soeur de son meilleur ami, le responsable du massacre qu'il ne pourra arrêter que par une lutte à mort), rapide et précis dans ses gestes amples, il arbore une face barbue atone, qui ne semble s'animer qu'en donnant la mort...
Quelques captures supplémentaires de ce magnifique film, histoire d'attirer les réticents...