Bon, je sais qu’on va tout de suite dire que je manque d’objectivité. Je suis un grand fan de
Darren Aronofsky et c’est pour moi l’un des meilleurs réalisateurs actuels. Après, j’ai vraiment beaucoup aimé le film et je ne pense pas le surnoter. Après l’avoir vu 3 fois au cinéma, il est temps d’en livrer ma critique.
Tout d’abord, il est clair qu’
Aronofsky brasse un tas de références dans son film mais je crois que le terme de plagiat n’est pas approprié. A la manière d’un
Tarantino, on sent qu’il a bien digéré ses influences et qu’il arrive à en faire un film qui a sa propre personnalité. D’ailleurs pour les plus fans du réalisateur, il y a même des clins d’œil à ses précédents films (comme le fait
Tarantino) : le petit déjeuner de Nina au début du film identique à celui de Sara Goldfarb dans
Requiem for a dream et le vieux pervers dans la rame de métro qu’on voyait dans les hallucinations de Max dans
Pi.
Parmi les principales références, on citera
Les chaussons rouges de
Michael Powell et
Emeric Pressburger qui reste le classique de film sur l’univers du ballet. Mais peut-on vraiment parler de "plagiat" ? Les 2 films abordant le même univers ont forcément des points communs : les 2 personnages sacrifient leur vie au profit de leur art au point de ne plus pouvoir discerner leur vraie vie de leur rôle sur scène. Mais l’approche des 2 films est quand même bien différente puisque
Moira Shearer était une vraie danseuse et que les réalisateurs voulaient avant tout filmer un ballet d’une façon la plus réaliste possible. Ici,
Natalie Portman n’a eu que quelques mois de formation et le réalisateur use de stratagèmes pour rendre les scènes les plus convaincantes possibles. Le but d’
Aronofsky n’est pas de mettre l’univers de la danse en avant mais de s’en servir comme toile de fond.
Ensuite, le réalisateur brasse un tas de thèmes tels que la schizophrénie, la paranoïa, l’automutilation, le passage à l’âge adulte, la recherche de la perfection, … Et là aussi, on sent de nombreuses influences plus ou moins marquées.
Darren Aronofsky n’a jamais caché son admiration pour
Satoshi Kon rachetant même les droits d’une scène de
Perfect blue pour
Requiem for a dream. Ici aussi, l’influence de
Perfect blue est bien présente et ça sent clairement l’hommage : le visuel de cette chambre toute rose en total décalage avec l’âge du personnage, les jeux de miroir et le thème de la schizophrénie. Mais, une fois de plus, je ne trouve pas que ces références gâchent le film, elles lui font au contraire prendre une dimension supplémentaire.
Pour ce qui est du traitement de la paranoïa, comment ne pas penser aux films de
Roman Polanski qui s’est fait un habitué de ce thème. L’ambiance de
Le locataire et surtout
Répulsion semble planer sur le film. Mais à la différence de
Polanski, le réalisateur joue ici d’avantage sur la vision subjective de Nina pour mettre en avant cette paranoïa et nous faire douter sur ce qui est réel et ce qui ne l’est pas. J’ai trouvé le jeu sur les ombres et les bruits simples mais efficaces. Pourquoi chercher plus loin alors que ces petits effets suffisent à mettre en place une atmosphère pesante ?
Pour ce qui est du thème de l’automutilation, on est clairement du côté de
Cronenberg. La scène où elle s’arrache la peau des doigts fait forcément penser à
La mouche et celle de la visite de Nina à Beth à l’hôpital rappelle
Crash. Mais ces références ne sont jamais gratuites : ce rapport à l’automutilation à une place importante dans le film puisque c’est par ces actions que Nina se sent vivre. Et par la même occasion, elle se démarque du joug de sa mère qui se supporte pas qu’elle fasse ça … D’ailleurs, la référence n’est certainement pas volontaire mais ça m’a fait aussi beaucoup penser à
Dans ma peau de
Marina De Van.
Ce que la plupart des spectateurs n’ont pas capté, trop obnubilés par les éléments que le réalisateur leur servait sur un plateau, c’est tout le sous texte sur l’inceste. Si on regarde de plus prêt, il y a de nombreux éléments qui peuvent nous mener à cette hypothèse. Tout d’abord, cette mère surprotège sa fille au point qu’elle est restée au stade de l’enfance à ses yeux. Et puis, elle a une espèce de fascination morbide pour sa fille qu’elle retranscrit à travers ses dessins. Mais en plus de cela, il faut surtout se demander pourquoi Nina bloque la porte de sa chambre avec un morceau de bois. Et après la soirée en boite, Nina pense avoir passé la nuit avec Lily or ça n’était qu’un rêve … ou peut-être pas : avant de perdre conscience, Lily lui dit «Sweet girl» or c’est de cette manière que sa mère l’appelle tout au long du film. Toutes ces suppositions semblent alors évidentes et
Aronofsky aurait savamment mis en avant certaines métaphores que certains qualifieront de caricaturales pour mieux voiler le thème principal de son film …
Enfin, le dernier thème et pas des moindres est la recherche de la perfection et les sacrifices qu’on est prêt à faire pour cela. Sur ce point-là, le film se rapproche du précédent film du réalisateur
The wrestler. D’ailleurs, les fins sont assez similaires bien que les motivations soient différentes. Randy comme Nina sont prêts au sacrifice total (la mort) pour leur art. Dans
Black swan, Nina atteint son objectif lorsque Leroy l’appelle «my little princess». A partir de ce moment, elle sait qu’elle peut mourir tranquille car elle n’a pas l’intention de subir ce qu’a vécu Beth : la chute après avoir atteint le sommet.
Niveau mise en scène,
Aronofsky opte pour un prolongement de son travail sur
The wrestler, à savoir une mise en scène simple où l’on suit pas à pas le parcours de l’héroïne. Mais contrairement à celui-ci où l’on suivait les pas lancinants de ce catcheur sur le déclin, le film est ici rythmé par l’énergie de Nina qui ne cesse de virevolter aussi bien sur scène que dans sa démarche de tous les jours. Le réalisateur s’en sort également admirablement sur les scènes de danse.
Natalie Portman n’ayant pas les capacités pour se faire passer pour une vraie danseuse professionnelle, il opte pour une mise en scène bien découpée et filmée d’assez prêt. Il est certain qu’on aurait aimé avoir quelques plans larges pour profiter du spectacle mais étant donné les circonstances, il n’avait pas d’autres choix.
Pour ce qui est de l’interprétation, il est difficile de trouver les qualificatifs pour décrire la prestation de
Natalie Portman … Inspirée ? Grandiose ? Sublime ? En tout cas, elle livre ici le rôle de sa vie et elle mérite amplement son Oscar tant elle semble donner tout ce qu’elle a pour ce rôle. Elle s’est longuement entraînée, elle a perdu du poids et elle n’a jamais paru aussi engagée physiquement et psychologiquement dans un rôle. Elle habite littéralement le personnage. Quant à
Vincent Cassel, il retrouve enfin son vrai niveau de jeu loin de ses cabotinages récents. Il dégage une grande sobriété dans son interprétation et arrive à donner une certaine ambiguïté à son personnage de directeur de ballet. Et
Barbara Hershey est vraiment flippante ! Son rôle est plus complexe qu’il n’y parait et malgré sa courte présence à l’écran, elle arrive vraiment à créer un malaise. On pourra juste reprocher aux personnages de
Mila Kunis et
Winona Ryder de ne pas être assez développés …
Sinon, il est important de parler du travail sur le son. J’ai trouvé l’utilisation des bruitages liés à la transformation en cygne particulièrement inspirée. Ça apporte un côté étrange et fantastique à l’ambiance du film. Je comprends qu’on puisse trouver que ça manque de sobriété mais personnellement, je ne trouve pas que ça nuit au film. Du moment qu’on admet que le réalisateur veut appuyer sur cette métaphore de la transformation, ça passe très bien. Quant à la collaboration musicale avec
Clint Mansell, elle donne une nouvelle fois un résultat de toute beauté. Plutôt que de créer un univers musical, le compositeur se sert de l’œuvre de
Pyotr Tchaikovsky pour en créer une variation. Cette musique envoûtante est indissociable de la réussite du film.
Enfin, je noterai que
Darren Aronofsky est toujours aussi doué pour créer une véritable montée dramatique dans la dernière demie heure de son film. C’est devenu une marque de fabrique chez lui et à chaque fois, on sort comme exténué de ses films. Et histoire de boucler la boucle, j’ai parlé de
Quentin Tarantino dans mon introduction et je vais en reparler ici. Celui-ci concluait
Inglourious basterds avec la réplique de
Brad Pitt que les fans ont pris comme un clin d’œil : «I think this just might be my masterpiece». La dernière phrase de
Black swan pourrait très bien être pris de la même manière …
I felt it. The perfect. I was perfect Au final,
Darren Aronofsky signe un superbe film parfaitement maîtrisé. Il prend le risque de brasser de nombreux thèmes mais ceux-ci arrivent à s’imbriquer pour former un tableau final d’une grande complexité. A la manière de
The fountain, je suis sûr qu’en plus, le film va se bonifier avec le temps. Une vraie pépite comme on aimerait en voir plus souvent !