Blood Island (bedevilled)
Un film de Jang Cheol-soo
8/10
Récompensé par le très élogieux Grand Prix au dernier festival du film fantastique de Gérardmer, Blood Island (bedevilled dans sa version originale) est un film choc qui puise toute sa puissance dans un scénario autant poignant que révoltant, jonchant avec une habilité certaine entre le violent film d’horreur, le drame familial et la satire sociale. Bien plus qu’un simple et vulgaire slasher, Blood Island est un film polymorphe qui prouve, de la plus belle des manières, que violence peut aussi rimer avec intelligence.
Un film pessimisteSuite à une altercation professionnelle, la séduisante Hae-won se rend à Moodo, une île coréenne à proximité de Séoul, sur laquelle elle avait passé des vacances dans sa jeunesse. Elle y retrouve une amie d’enfance, Bok-nam, qui souffre désormais du comportement autoritaire de son mari mais aussi de sa famille. Voyant dans la venue de Hae-won une opportunité de liberté, Bok-nam va tout faire pour se détacher de sa misérable existence, ponctuée de travail forcé et d’humiliations journalières.
Si le scénario de Blood Island pourrait s’avérer, à première vue, d’un classicisme assez déroutant – pour ne pas dire inintéressant –, celui-ci peut néanmoins se targuer de disposer d’un réel fil conducteur, dilué au compte-gouttes au fil de minutes de plus en plus intrigantes. Les premiers instants, qui présentent de manière méthodique le caractère profondément égoïste de Hae-won, permettent d’immiscer le spectateur dans un univers paranoïaque, malsain et très déséquilibré – on y voit une femme tabassée et défigurée en pleine rue. L’arrivée de la citadine sur cette mystérieuse île apparait alors comme le prolongement logique de ce malaise, qui rappelle que la folie n’est pas un comportement exclusif à la grandeur de la ville. En ce sens, le film dispose d’une profondeur sociologique exaltante, démontrant avec une neutralité étonnante que le contraste entre ces deux modes de vie – la modernité, la tradition – n’en reste pas moins un vecteur possible de rassemblement. La citadine se ressource à la campagne, alors que la campagnarde voit en la ville une entité fantasmatique.
Néanmoins, Blood Island reste un film profondément pessimiste. Rythmé par une violence autant physique que morale, le récit impose au spectateur des images brutales et sans espoir – une femme battue, trompée, sombrant dans une folie meurtrière inéluctable. Si le dernier plan du film laisse entrevoir une relative once d’optimisme, le constat dressé par le film de Jang Cheol-soo reste sans appel : l’homme est un animal qui dispose du mal en lui.
Une ode à la vengeanceLa grande force de Blood Island est ainsi de proposer une multitude de points de vue sur une même situation. La confrontation des portraits, qui perturbe le spectateur dans son besoin d’identification et dans sa volonté de jugement, assure à la lecture du film une intelligente profondeur. Qui est le personnage principal ? De quel coté est le spectateur ? Difficile de répondre, tant l’ensemble des protagonistes possèdent une forme de folie qui leur est propre – la violence incontrôlée, l’égoïsme écœurant. Si la première heure du film focalise l’ensemble de sa description sur Hae-won et son arrivée sur l’île, le point de vue fond intelligemment sur celui de Bok-nam pour en faire un personnage de cinéma à part entière. Le spectateur accepte alors son désir de vengeance avec facilité, tant celle-ci apparait comme la victime d’une société toute entière : cette île est un purgatoire qui confine son être dans une folie inéluctable. Néanmoins, l’atrocité des massacres perpétués sera inévitablement condamnée par la conscience choquée du spectateur. Tout est ainsi abordé avec un subtil contraste : rien n’est assumé ni approuvé.
Le traitement affligé à l’image brille lui aussi par sa justesse. Sans jamais tomber dans un excès condamnable d’hémoglobine, la caméra de Jang Cheol-soo produit des images sublimes à l’aide de contrastes saisissants et d’une photographie audacieuse. Bien que les dix dernières minutes sombrent dans un délire que l’on pourrait qualifié d’hollywoodien, le spectateur ne s’ennuie jamais devant ce conte horrifique particulièrement maitrisé.
Et le DVD ?Disponible en vente à partir du 3 mai 2011, l’édition DVD du film se relève assez décevante. Si la qualité de l’image reste correcte, les bonus présents sur l’édition visionnée ne sont qu’au nombre de deux : une présentation du film par Charles Tesson, et une simple galerie photo. Dommage, car la qualité formelle du film méritait amplement mieux.