le Bon la brute et le truand |
Réalisé par Sergio Leone Musique d'Ennio Morricone Avec Clint Eastwood, Lee Van Cleef, Eli Wallach
Western ultime, Italie, 2h58- 1966 |
10/10 |
Une symphonie de l’Ouest
Le Bon, la brute et le truand est un ballet funèbre et lyrique dans lequel s’affrontent trois chasseurs de primes en quête du même magot. Avec ce dernier volet de la trilogie du dollar, Sergio Leone finit de mettre en place les codes du Western spaghetti et donne à ce genre majeur sur le déclin, autrefois porté par Ford, Hawks, Mann, Walsh et bien d’autres, un nouvel élan de vitalité.
Il nous embarque dans une épopée ludique et violente, au côté de ces trois antihéros, sans valeurs morales, qui tirent avant de parler, uniquement motivés par l’appât du gain et qui mettent leur compétence de tireur, à leur propre service. Dans l’Ouest de
Sergio Leone règne l’individualisme. Il décrit un monde impitoyable dans lequel les femmes et les enfants sont des cibles, dans lequel les rapports de force évoluent en fonction de celui qui pointe son pistolet. Il révolutionne en profondeur l’iconographie du cowboy avec ces trognes pleines de poussières et de sueurs.
Dans
le Bon, la brute et le truand, ses antihéros sont interchangeables, car ironiquement, il n’y a pas de bon dans cette histoire, juste des hommes qui oscillent entre plus ou moins de brutalité et plus ou moins de roublardise. Dans ce jeu de dupes, chaque personnage peut se retrouver à la place de l’autre dans une situation délicate (marche dans le désert de Blondin). Tout est truquée jusqu’au retournement de situations qui peuvent se jouer hors champs (ainsi, la fumée du cigarillo qui précède la présence de Blondin à l’écran, les pelles dans la scène du cimetière, les révélations d’un mourant qui mènent à un trésor ou encore une scène de torture). Derrière les masques (fausses identités pour s’infiltrer dans un camp ou dans l’autre, ou bien encore la poussière qui recouvre les uniformes nordistes) se jouent une sorte de Commedia dell’arte dans l’Ouest. Une tragi-comédie issue de la rencontre entre des hommes dont le seul dieu est le dollar et la Guerre civile.
Dès le sublime générique animé, la guerre s’invite dans cette course au trésor, contrariant et détournant à coup de canon la chevauchée des trois pistoleros. Parfois alliée de circonstance, lorsque l’arrêt d’une colonne de soldats, permet à Blondin d’entendre l'arrivée d’assaillants, lorsque Sentenza torture Tuco pour obtenir l’emplacement du trésor, parfois amie inespérée lorsqu’un chariot au milieu du désert apporte la promesse d’un trésor, parfois aussi obstacle, comme le pont de Branston que se dispute les deux camps et surtout et avant tout, lieu de destination finale, car dans le cimetière de Sad Hill sont surtout enterrés des soldats morts au combat. Jeux de guerre, jeux de hasard qui sauve la vie ou perturbe le voyage de Blondin et Tuco.
Une guerre omniprésente qui ravage le pays, à côté de laquelle, ces hommes qui cherchent la moindre défaillance chez l’autre, perpétuellement attentifs à ce qui les entourent et au moindre détail pour rester en vie, passent avec indifférence. Tuco et Blondin s’émeuvent légèrement de l’imbécilité et l’absurdité de la guerre, s’attardent sur cette boucherie planifiée avec cynisme uniquement lorsque le conflit qui oppose le Nord et le Sud devient un obstacle à leur objectif final. Faire sauter le pont devient un impératif pour atteindre leur magot.
Sergio Leone ne prend pas parti. Il montre l’horreur et la sauvagerie des deux camps. A travers les pérégrinations de Sentenza, Blondin et Tuco, d’un camp à l’autre, il fustige l’imposture de l’héroïsme guerrier. Il n’y a pas plus de héros parmi les soldats que parmi les chasseurs de primes.
Sergio Leone s’appuie sur une mise en scène quasiment maniériste qui stimule constamment l’attention du spectateur. Les ruptures de tons et de rythmes dynamisent le film et relancent chaque fois l’intérêt. Sa maîtrise de l’espace lui permet de jouer avec le champ de vision du spectateur, pour le déstabiliser et le surprendre à chaque fois, dans une alternance, de cadrages originaux (certaines scènes commencent hors champs), de plans larges suivis immédiatement de gros plans et de très gros plans qui atteignent leur paroxysme dans la scène du duel. S’ajoute un véritable souci du détail, aucun objet n’est là par hasard, tout sert à un moment ou à un autre. Ainsi, le cigarillo vissé au coin des lèvres de Blondin, un effet de style, mais aussi un objet très pratique pour allumer une mèche. Aux images et à la mise en scène de Sergio Leone répond la musique d’Ennio Morricone. Ses ritournelles enthousiastes subliment le film et le transforme en concerto baroque. Parfois ironique, parfois tragique, parfois mélancolique, la musique est le quatrième personnage principal du film. Elle souligne chaque action, chaque évènement et chaque humeur. Une musique qui se substitue bien souvent à la parole, qui plonge dans les racines de l’Ouest avec ce son strident imitant le coyote sur deux notes et trois variations pour introduire chacun des trois protagonistes principaux. Elle se fond dans le cynisme et l’humour noir ambiant, lorsqu’elle devient un ressort de l’action, dans la scène où l’orchestre de prisonniers sudistes en pleure, joue pour masquer les cris de tortures de Tuco.
Le film s’achève sur un final éblouissant, dans lequel Sergio Leone réinvente le duel, ce moment classique parmi les classiques et incontournable du western. Un « triel » dans l’arène circulaire, aride et écrasée de soleil du cimetière de Sad Hill, lieu de prédilection entre tous, à mi-chemin entre la vie et la mort. Trois hommes pour un magot : Blondin, le taciturne, celui qui balance entre chasseur de primes et bandit, le seul qui montre un peu de compassion face à la mort ; Tuco, l’exubérant, le truand truculent et Sentenza, le tueur professionnel calculateur et froid. Dans cette danse de la mort théâtralisée, ce rituel d’observations qui précède les coups de feu, le temps suspend presque son vol, la musique s’amplifie, la caméra s'avance plongeant de plus en plus dans le regard de ces hommes qui jouent leur vie et la tension se fait de plus en plus intense. La mort est au bout du chemin de Sad Hill, dans un dernier jeu de dupes, car même à l’instant fatidique, tout n’est que faux-semblants et l’un des protagonistes n’est pas un véritable acteur de cette chorégraphie macabre. Une scène d’anthologie à jamais gravée au panthéon du 7ème art.
Avec
le Bon, la brute et le truand, la trilogie du dollar s’achève. La boucle est désormais bouclée. Et le poncho ramassé par Blondin pourrait être celui porté par l’homme sans nom, dans
Pour une poignée de dollars, faisant du dernier épisode, le préquel du premier, ou pas.
Sergio Léone a créé avec une infinie maestria, un genre « le western spaghetti » et en quatre films seulement, il lui a fait atteindre une apogée qu’aucun autre réalisateur n’a réussi à égaler. Beaucoup ce sont engouffrés dans ce renouveau du western, parfois pour le meilleur et souvent pour le pire.