POUR UNE POIGNÉE DE DOLLARS de Sergio Leone
Premier western et seconde réalisation en solo de la carrière de Leone, "Pour une poignée de dollars" est un film précurseur et véritablement important pour bien des raisons.
Tout d’abord, c’est avec ce film que Leone va trouver son style, sa patte. Dynamitant les codes du western américain, il se plait à mettre en scène des personnages ambigus, aux visages marqués par la vie et dont l’appât du gain n’a d’égal que leur dextérité aux tirs.
Sa mise en scène, inédite dans le genre, va redéfinir les codes établis dans le cinéma contemporain. L’alternance entre plans larges et superbes de paysages et des cadrages très serrés sur les visages, l’utilisation de focales courtes, qui donnent une excellente impression de profondeur. Mais aussi la durée de ses plans, souvent bien supérieure à la moyenne, qu’il poussera à son paroxysme dans ses films suivants.
Mais comment parler du Style Leone sans évoquer son compositeur fétiche, le grand Ennio Morricone. Révélé grâce à ce film, il sera par la suite le compositeur attitré du maitre. Symphonique et grandiloquente, sa musique accompagne les personnages, et procure chez le spectateur une émotion saisissante. Elle peut être considérée comme une partie essentielle du langage cinématographique de Leone, tant celle ci va devenir importante et fusionnelle avec sa mise en scène, atteignant son apogée dans "Le Bon, la Brute et le Truand" ou "Il était une fois dans l’Ouest ".
"Pour une poignée de dollars", c’est aussi une nouvelle façon de voir l’Ouest. Fini les cowboys valeureux et moralement irréprochables, Leone préfère dépeindre des personnages torturés, complexes, avides d’argent et de femmes faciles, sales et aux mines patibulaires.
Son "héros", un homme solitaire vêtu d’un poncho, qui enchaine cigarillos et punchlines, en dégainant plus vite que son ombre, n’aurait pu trouver meilleure incarnation qu’en la personne de Clint Eastwood.
Mais avant de devenir cette figure mythologique du Cinéma, ce choix était loin d’être une évidence. Henry Fonda et James Coburn ayant refusé (même si Leone leur offrira plus tard deux rôles sublimes), c’est donc vers Eastwood, encore assez peu connu, que se tourne le réalisateur.
Découvert notamment grâce à la série Rawhide, c’est véritablement dans ce film que son talent va exploser aux yeux du monde, en incarnant un pistolero manipulateur et cynique, dont les origines et la psychologie restent obscures.
Ce rôle l’impose immédiatement comme une icône, un anti-héros sans nom quasi mystique dont le charisme naturel et la prestance valent tous les dialogues. Il suffit de voir son arrivée dans le village à dos de mulet, ou encore son apparition avant le duel final, où son ombre apparait à travers la fumée dégagée par les bâtons de dynamite.
Pour incarner son Nemesis, le cruel Ramon Rojo, Leone choisit l'excellent Gian Maria Volonte. Sans être aussi charismatique qu'Eastwood (le rôle ne s'y prête pas), il interprète à merveille un personnage malfaisant et lui aussi ambigu, qui peut passer du mec rigolard au tueur impitoyable en un clignement de cils. Sa réussite lui vaudra un autre rôle de méchant dans la "suite" de la trilogie, "Pour quelques dollars de plus".
Le scénario fût écrit par Leone (entre autres) suite à la découverte du film d'Akira Kurosawa "Yojimbo". En effet, il reprend la structure du film, en racontant l'histoire d'un homme solitaire arrivant dans un village où deux clans s'affrontent, et qui va se jouer tour à tour de chacun pour s'enrichir. Un scénario simple mais à l'efficacité redoutable, tant il évite les temps morts pour se focaliser sur son récit et ses personnages.
Avec ce film, Leone détourne la plupart des codes du genre et impose immédiatement Clint Eastwood comme une figure puissamment iconique et fédératrice, et montre une nouvelle façon de voir l'Ouest. Il prouve qu'il est un réalisateur unique, au sens du cadrage incroyable et dont les choix de mise en scène marqueront bon nombre de réalisateurs.
Et dire que ce n'est qu'un début !
8,5/10