Kill Bill Volume 1 de Quentin Tarantino
(2003)
Dire que le quatrième film de Quentin Tarantino est particulier serait un doux euphémisme. Après un huit-clos violent, un film choral au montage original et un vibrant hommage aux films de la blacksploitation, le cinéaste le plus cinéphile du monde se lance dans un projet audacieux, celui de synthétiser la totalité de ses influences cinéphiliques en une seule œuvre, un long-métrage par les cinéphiles pour les cinéphiles. En cela,
Kill Bill est déjà un pari osé, pouvant tomber dans la copie, voire le plagiat avec une facilité déconcertante, c'est sans compter l'originalité que Tarantino arrive à insuffler à son film. Le projet, né lors d'une discussion sur le tournage de Pulp Fiction entre Tarantino et Uma Thurman, est à l'origine pensé comme un seul et même film avant d'être divisé en deux par les frères Weinstein, l'occasion pour le cinéaste de développer des ambiances totalement différentes pour un même récit. C'est d'ailleurs là la grande force du diptyque
Kill Bill : sa diversité véritablement impressionnante. Retour sur un premier volet, déclaration d'amour jouissive à un cinéma qui tient plus de la raison de vivre que du simple divertissement ou art.
Tout commence par une musique. Car oui, dans
Kill Bill, la musique est certes omniprésente mais clairement vitale à l'ambiance qu'elle crée, à l'énergie qu'elle dispose peu à peu à chaque plan. Comme souvent chez Tarantino, on ne parlera ici que rarement de bande-originale puisque la quasi-totalité de la bande-sonore sont des chansons déjà existantes ayant marquées la jeunesse du cinéaste ou alors tout simplement des passages musicaux présents dans ses films (ou séries) fétiches. Nancy Sinatra, Santa Esmeralda, Isaac Hayes, Louis Bacalov, etc... La liste est longue, très longue. Certains y verront une envie de combler du vide, d'autres une volonté de fourrer ses références un peu n'importe où, qu'importe la véritable raison :
Kill Bill perdrait beaucoup de sa force symbolique avec l'absence de cette diversité musicale singulière.
Après la musique, il y à l'image. Celle d'une femme mourante, blessée à mort, en robe de mariée, pleurant sur son sort pendant qu'un homme lui prononce hors-champ un discours sur la légitimité de l'acte atroce qu'il a commis. Un mouchoir blanc apparaît, où des lettres brodés font apparaître un nom qui sera le véritable McGuffin d'une épopée cinéphile violente : Bill. La cible ultime, celle au centre de toutes les attentions, la plus dangereuses de toutes. Bill est partout, son nom est connu de tous et est inscrit plus qu'il n'est prononcé à cause de la peur qu'il inspire. Pourtant, Bill est invisible, presque anonyme, se matérialisant seulement dans une voix extrêmement neutre qui focalise toutes les attentions ou alors dans une main âgée mais dangereuse, posée sur un katana dans l'ombre d'un trône impossible à localiser véritablement. Pourtant, dans ce premier volet, Bill n'est pas encore la cible principale qu'il faut atteindre à tout prix (ce sera par contre le cas du second film). Dans ce Volume 1, il y est surtout question d'un retour aux sources partiel. Avec un plan reprenant l'une des images emblématiques du
Citizen Kane d'Orson Welles (Bill étant finalement le Rosebud dont il faut comprendre la signification et les aboutissements), Tarantino montre Black Mamba morte, laissant place à une mariée voulant prendre un nouveau départ mais qui sera assassinée pour pouvoir donner naissance à The Bride, une mariée vengeresse, jouée par une Uma Thurman qui, avec ce rôle, n'a désormais plus rien à prouver, un mélange des deux identités précédentes qui donnera lieu à un carnage monumental après un réveil aussi glauque que malsain dans un hôpital douteux.
Reprenant un montage à chapitres non-linéaire semblable à celui de son
Pulp Fiction, Tarantino multiplie les surprises scénaristiques, quitte à faire naître l'incompréhension totale chez le spectateur. Ainsi, le film commence véritablement sur la seconde vengeance à accomplir, l'objectif étant de tuer Bill, bien entendu, mais aussi ses quatre acolytes qui lui ont permis de bouleverser la vie d'une femme qui tentait de prendre enfin sa vie en main. Cette scène est d'ailleurs l'occasion d'évoquer l'un des gros points forts du film, à savoir ses scènes de combat. Certes, elles ne sont finalement que des pastiches de séquences de films déjà existants, mais force est de constater que Tarantino arrive à s'affranchir de ses influences sur ce point précis, arrivant à donner un certain souffle à ses effusions de sang, une certaine poésie esthétique et métaphorique. Dans cette scène précise, il faut souligner la merveilleuse gestion de l'espace, gestion qui sera fortement accrue dans une séquence marquante du second volet. C'est aussi le moyen pour Tarantino de démontrer la capacité de ses personnages à aller au bout de leurs objectifs mais aussi leur prise de conscience quand à leurs devoirs. Ainsi, la venue de la jeune fille innocente de Vernita Green viendra mettre un terme à la violence mais sera finalement victime de celle-ci, annonçant peut-être un troisième volet basé sur l'envie infantile de vengeance.
Vient ensuite un fabuleux passage sur les origines de la première cible de la fameuse Death Five List, O-Ren Ishii, qui est surement la séquence la plus originale du film, à défaut d'être la plus audacieuse, dans le sens où elle est presque intégralement réalisée par les mêmes créateurs de la série
Ghost In The Shell : Stand Alone Complex, ce qui donne lieu à des scènes animées aussi violentes qu'esthétiquement poétiques. A partir de ce passage du film, le sang devient quelque chose de très exagéré, comme si le tragique pouvait devenir ludique. Même chose pour les personnages, atroces dans leur motivation (mention spéciale à Gogo) mais délicieusement drôle. Multipliant les plans sur les regards tout droit sortis d'un western-spaghetti de Sergio Leone et les plans sur les armes à feux typiquement HK, Tarantino mélange au maximum ses influences avant le dernier tiers du film qui sera l'apothéose de cette direction artistique.
Cette apothéose, ce sera la première vengeance à commettre. Une soirée entre yakuzas qui, avec la présence de The Bride, va littéralement se transformer en un véritable bain de sang. Commençant par des simples face-à-face faisant office d'échauffements, le combat prend une tournure véritablement dantesque avec l'arrivée des Crazy 88. L'occasion pour Tarantino de sa lâcher totalement en terme de mise en scène et de filmer les décapitations et esquives de la même façon que l'on filme une danse. Mouvements harmonieux de caméra, plans fluides sur les enchaînements et véritable chorégraphie macabre font de cette scène un véritable monument de cinéma où les influences encore une fois sont très nombreuses, de Bruce Lee (le style des yakuzas façon
Green Hornet et surtout la combinaison de The Bride, tout droit sortie de
Game Of Death) aux films de la Shaw en passant par la japanimation.
Moins spectaculaire mais tout aussi prenant, le duel final avec O-Ren Ishii s'inscrit profondément dans la philosophie orientale. Calme absolue, neige immaculée, paroles prononcées avec douceur et lames s'entrechoquant le moins possible. On se retrouve presque dans un état de grâce, un état second qui permet de digérer le spectacle gore précédent pour mieux apprécier la beauté visuelle et symbolique de cette mise à mort placée sous le respect mutuel des combattants. Une fois la neige tâchée, il suffira alors de tourner le dos pour se rendre compte que le plus dur reste à faire.
Une dernière et ultime phrase prononcée frappe le spectateur à l'estomac avec la force d'un violent uppercut, annonçant un second épisode qui détient les réponses aux multiples questions que l'on se pose suite à la vision de cette récréation cinéphilique. Un épisode qui s'écrira avec le sang des victimes passées, et par celui de ceux qui méritent de mourir. Here comes The Bride.
NOTE : 10/10