Seven |
Polar Capital |
10/10 |
Le cinéma recèle de films de serial-killer. Mais Seven se démarque déjà sur un point : le tueur passe plus de la moitié du film comme un fantôme, sans identité, pas même une ombre. Un peu comme dans Assassin sans Visage, l’un des premiers films à parler d’un tueur sans le montrer, sinon lors de l’épilogue. Le meurtrier est inconnu la plupart du temps, semblable à une figure lointaine et invisible dont on ne retrouve que les traces. Ces traces, ce sont les meurtres, jamais montrés, que l’on découvre en même temps que Mills et Somerset : un obèse retrouvé la tête dans sa bouffe, une prostituée lacérée mortellement par un engin phallique et diabolique, un dealer de drogue attaché à un lit depuis un an et qui va mourir en se liquéfiant sous nos yeux impuissants… Impuissants comme les deux inspecteurs qui tentent de recoller les morceaux à la recherche de la moindre piste.
Ces deux inspecteurs, que tout oppose, vont chacun à leur manière appréhender l’enquête. Ils ont tout les deux le même but (arrêter le coupable), mais pas le même cheminement pour y parvenir. L’un, Somerset (Morgan Freeman, tout en retenue), va intellectualiser la chose en essayant de rentrer dans la tête du tueur pour le comprendre, pour savoir où il veut en venir. Pour lui, ces actes atroces sont un moyen de communiquer. Mills (Brad Pitt qui n’a jamais été aussi bon que chez Fincher), quant à lui, est un compulsif. Ce sont ses émotions qui prennent le pas sur la raison, jusqu'à vouloir faire payer le meurtrier pour ce qu’il a fait. Une dualité superbement mise en scène et qui trouve son point d’orgue lors d’une scène en particulier : celle de la bibliothèque. Somerset s’isole dans cet océan de culture, enivré par de la musique classique, tandis que Mills préfère le vacarme de la ville pour mener ses recherches. On ne peut donc pas vraiment parler de duos, chacun étant sur sa propre longueur d’onde, mais néanmoins l’un ne peut pas avancer sans l’autre. Somerset chaperonne Mills, le futur retraité essaye de diriger le jeune fougueux vers la bonne voie, car il représente pour lui le futur. Un avenir sombre à l’image de cette ville sans nom, pluvieuse, dont l’espoir d’un jour meilleur semble s’être évanoui depuis longtemps.
Quelques scènes clés du film sont à sortir, mais une, a priori anodine, revêt une importance capitale : celle de la course poursuite. Lors de cette scène, la seule scène d’action du film, le coupable fantomatique rend enfin une apparence humaine. Cet homme fait de chair et de sang a un nom, une silhouette. Sa trace est enfin retrouvée, même s’il reste encore mystérieux. Un homme qui tente malgré tout de gommer toute humanité possible de manière obsessionnelle, en se faisant appeler John Doe (Kevin Spacey, flippant), l’équivalent du Mr. X outre-Atlantique, ou encore en allant jusqu'à s’arracher la peau de ses doigts pour masquer ses empreintes digitales. Une manière de dire que cet être inhumain pourrait finalement être n’importe qui.
C’est d’ailleurs quand on saisit qui est John Doe, que l’on plonge dans son esprit pour tenter de le percer, que démarre la partie la dérangeante, moralement parlant. On y perçoit la limite très fine entre la folie et la raison. Pour lui, le pêché est partout, et rien ne peut nous en écarter. C’est en quelque sorte la morale prônée par le meurtrier, dont les actes ne lui procurent qu’indifférence car pour lui, l’humanité ne mérite pas de vivre. C’est en substance ce qu’il dit lors du trajet vers la scène finale, achèvement ultime de son chef d’œuvre. Qu’aurait on fait à la place de Mills ? N’aurait on pas fait la même chose et céder à la Colère ? Il y’a de fortes chances que si. Mills tue John Doe, John Doe meurt mais gagne. Sa démonstration du vice humain est parfaite.
Je pourrais écrire un pavé sur ce film. Pour évoquer la mise en scène ciselée de Fincher. Ou la magnifique photo de Khondji qui rend cette atmosphère palpable. Voire la musique efficace de Shore. Ou bien le générique absolument incroyable, annonciateur des valeurs du film, plongée symbolique avant l’heure dans l’âme de Doe. Ou encore l’ambiance générale du film qui, chose rare, perdure après un nombre de vision qui se compte par dizaine. Mais ce film va au-delà de "triviales" considérations techniques. C’est bien plus que ca, c’est le thriller à son apogée. Au contraire des pâles copies qui découleront de ce film, on n’est pas dans une tentative plus ou moins vaine de choquer le spectateur. On est devant un Grand moment de cinéma, tout simplement.