25th Hour (La 25ème Heure) de Spike Lee
(2002)
Découvert il y a quelques années,
25th Hour m'avait littéralement chamboulé. Le genre de vision où l'on sait dès l'apparition du générique de fin que l'on a assisté à du très très grand cinéma. Avec une telle impression, le film de Spike Lee s'est rapidement fait une place de choix dans mon top 20 cinématographique. Cette nouvelle et récente vision me permet de me rendre compte des quelques défauts qui parsèment le métrage, l'empêchant du coup de postuler au rang de chef-d'œuvre ultime en restant toutefois un grand film comme on en voit trop peu.
25th Hour, c'est tout d'abord un film atypique de la filmographie de son réalisateur. Ainsi, Spike Lee, d'habitude enfermé dans ses revendications subjectives pour le peuple afro-américain, livre ici une œuvre grandiose, histoire d'un homme témoin de la décadence de sa vie et de sa ville, une histoire où le contexte géopolitique est tout aussi important (voire plus) que le récit lui-même. Sans conteste,
25th Hour est le premier grand film sur l'Amérique post-11 septembre, arrivant à éviter subtilement le piège de la démonstration facile et du mélodramatique poussif dans lequel de nombreux cinéastes se sont embourbés depuis, le meilleur exemple étant le
World Trade Center de Oliver Stone. A travers les points de vue d'une multitude de personnages (Monty, ses amis, sa fiancée, son père, ses relations) qui font pencher le film vers le genre du film choral sans toutefois y pénétrer, Spike Lee observe et juge sa ville natale de façon extrêmement objective (la critique du peuple noir et de leur obsession du fantôme esclavagiste) pour mieux dépeindre ses faiblesses qui la rongent. Avec une scène choc qui est sans aucun doute l'un des deux points culminants du film (la scène du Fuck), le cinéaste surprend son public en critiquant le brassage ethnique new-yorkais, en menaçant de mort ceux qui oseraient s'y attaquer et en souhaitant la destruction pure et simple de cette ville vouée à la décadence avant de revenir sur son personnage principal, concentré de haine et de préjugés refoulés qui finalement se maudit lui-même d'avoir détruit sa propre vie sans s'en rendre compte.
On pourra toutefois reprocher au film quelques longueurs (la boîte de nuit) et une storyline qui ne débouche finalement sur pas grand chose (le professeur et son élève), mais cela n'empêche pas un certain hypnotisme du spectateur, hypnotisme qui s'achèvera sur le second point culminant du film avec ses dix dernières minutes, où le rêve et la pensée pourraient être bien plus que de simples fantasmes pour se transformer en une vingt-cinquième heure, une heure imaginaire mais dans laquelle chacun pourrait se réfugier pour échapper à ses fautes, à son jugement et à son destin. Un final métaphorique extrêmement pessimiste qui finit d'achever le spectateur après ce spectacle tenant plus du jugement et de l'appel à la réflexion sur soi que du simple film.
Avec un script aussi riche de profondeur, il aurait été dommage que le film n'ait pas une mise en scène aussi ambitieuse. Là aussi, Spike Lee surprend énormément en livrant un travail de réalisation visuellement irréprochable, passant du ton sépia utilisé lors des scènes dans les quartiers du Bronx et de Harlem à une noirceur glauque sur le site du Ground Zero ou encore à des couleurs délavées lors de visions passées, futures ou tout simplement inexistantes. Une scène assez représentative de la diversité visuelle du métrage est bien entendu celle de la boîte de nuit, où les filtres colorisées sont ici tout simplement remplacés par des éclairages rouges ou bleus puissants. Cette scène est d'ailleurs celle qui regorge le plus d'effets de style purement démonstratifs où les personnages donnent plus l'impression d'être des fantômes errants que des êtres humains à part entière. Cette séquence, diaboliquement prenante et très révélatrice quand à la psychologie intérieure des protagonistes a hélas le défaut d'être bien trop longue pour finalement pas grand chose, donnant à l'ensemble du film un gros coup de mou qui l'empêche d'atteindre une certaine perfection en terme de gestion du rythme.
Dommage car tout le reste est tout simplement irréprochable. Les interprétations sont tout simplement bluffantes à commencer par la prestation d'Edward Norton qui trouve là son meilleur rôle avec celui du
American History X de Tony Kaye, une prestance qu'il a, hélas, beaucoup de mal à retrouver ces dernières années. Philip Seymour Hoffman, comme à son habitude, est excellent. Mais la vraie surprise du film vient du trop méconnu Barry Pepper, acteur qui mériterait largement une certaine reconnaissance de ses pairs ainsi qu'un premier rôle. Quand aux rôles plus secondaires, cela reste du très très haut niveau, avec notamment la présence de Rosario Dawson en épouse impuissante et de Brian Cox en image paternelle blessée.
Je finirais enfin sur quelques lignes pour parler du sublime générique faisant guise d'introduction au film. D'une puissance visuelle, sonore et symbolique rarement atteinte au cinéma, il est à la fois déroutant, gênant et véritablement hypnotisant. En débutant sur des lumières que l'on croirait presque d'origine divine pour finir sur les silhouettes fantomatiques et immobiles des tours jumelles du World Trade Center, Spike Lee fait passer en quelques secondes le message évocateur qui sera dilué plus tard sur l'ensemble de son œuvre, rajoutons à cela l'excellente bande-son de Terrence Blanchard et son thème principal qui donnerait presque des frissons dans le dos, et nous tenons là ce qui pourrait surement être le plus beau générique visible dans un film de la décennie passée.
Meilleur film à ce jour de Spike Lee, premier long-métrage à parler ouvertement du malaise post-11 septembre dans une Amérique blessée et désabusée,
25th Hour est clairement l'une des œuvres cinématographiques marquantes de la première décennie du 21ème siècle, véritable reflet d'un pays qui n'assume que rarement ses faiblesses et sa douleur. Un très grand film à voir au moins une fois dans sa vie de cinéphile.
NOTE : 10/10