On achève bien les chevaux (Sidney Pollack - 1969) 7,5/10
Pendant la crise, en Amérique, on organise pour amuser les badauds des marathons de danse. S'y réunissent des dizaines de miséreux attirés par la perspective de repas gratuits pendant le marathon ainsi que par le prix attribué au vainqueur. On suit, parmi la foule qui s'inscrit, le parcours de Gloria et Robert, qui tiennent tout au long de cette terrible épreuve qui s'étend sur plusieurs semaines...
Une terrible réalité sociale People are the ultimate spectacleLe film de Sidney Pollack doit en partie sa réussite à son réalisme : la dureté des règles du "jeu" impressionne. Ainsi, les marathoniens doivent danser en permanence, ne bénéficiant que de pauses de 10 minutes toutes les deux heures. On voit vite les conséquences d'un tel rythme sur les participants, qui apprennent à dormir en dansant (notamment en s'appuyant sur leur partenaire), à s'endormir en quelques secondes, à réorganiser leur vie sur ce nouveau et terrible rythme. La description de la fatigue croissante des participants est convaincante.
De même, on assiste à un véritable défilé de la misère humaine : acteurs au rabais rêvant qu'on les remarque, marins trop vieux pour bourlinguer, couple miséreux fantasmant sur la récompense... La liste est longue, et Pollack laisse chaque personnage se dévoiler, se révéler, avec une vérité qui touche juste.
Un style réaliste et en ruptureLa mise en scène joue la carte de la modernité (moins sensible pour un spectateur contemporain, mais en 1969, ça devait vraiment changer) par une caméra souvent portée à l'épaule. Si l'ensemble du récit est filmé de façon traditionnelle, certaines séquences, notamment les poignantes épreuves rajoutées au marathon pour épicer le spectacle, sont filmés caméra au poing. Flous, gros plans, coupures sèches dans le mouvement... Ces épreuves, organisées les samedi soirs, visent à créer l'évènement : il s'agit d'une course entre les participants, dont les 3 couples les plus lents seront éliminés. S'ensuivent alors les moments les plus poignants du film, où courent ces gens, épuisés et désespérés, avec l'énergie du désespoir... Le choix de filmer ces courses caméra à l'épaule rajoute au sentiment d'urgence, à la tension, et se révèle une excellente idée de mise en scène.
Inversement, la structure du film intercale dans le récit, de temps à autres, des séquences tirées du "futur" (tout le film serait donc un immense flashback). Très brèves, stylisées en ombre et lumières, ces brèves séquences viennent ajouter un inutile sentiment de pessimisme au film, et révèlent qu'il finira mal. Avait-on besoin de ces coupures ?? A mon sens, elles n'ajoutent pas grand chose et cassent la progression du récit.
Un pessimisme tragique
La noirceur du film est réellement frappante. Rocky, l'organisateur du marathon, est d'un cynisme à toute épreuve : pour lui, il ne s'agit que d'un spectacle à mettre en scène, le spectacle de la misère humaine. Les gens, frappés par leurs malheurs, viennent ici voir des gens plus malheureux encore qu'eux, pour repartir en se sentant mieux.
L'héroïne elle-même, incarnée par une excellente Jane Fonda, est d'un pessimisme redoutable : elle incite une femme enceinte à ne pas garder son enfant (comment le nourrirait-elle ?), elle reste consternée par ses collègues, méprise ceux qui lui trouvent un sponsor... Bref, c'est un personnage marqué par le malheur, dont on ne saura au final pas grand chose. Inversement, son partenaire, moins sombre, sera progressivement contaminé par cette vision sombre, jusqu'à ce que le malheur s'abatte sur lui.
Au final, on achève bien les chevaux est un film très sombre, qui évoque un aspect peu connu de la crise des années 30, et interroge le spectateur qui, lui même, vient voir des gens plus malheureux que lui. En dehors des choix de structure évoqués plus haut, on pourra regretter, peut-être, un excès de pessimisme dans le film. Mais celui-ci reste un grand moment de cinéma, et un film qui marque.