S'il n'y avait qu'un mot pour définir
Black Swan, dernier film en date de Darren Aronofsky, ce serait sans doute le terme éprouvant. Car oui,
Black Swan est autant une expérience à vivre qu'un film comme tant d'autre, une caractéristique subjective certes, mais finalement assez rare. Avec un début de carrière réussi mais un peu inégal (un premier film bien foutu mais oubliable, un second ambitieux mais trop démonstratif, un chef-d'œuvre casse-gueule et un quatrième film rompant totalement avec le reste), Darren Aronofsky se devait de rassembler avec sa nouvelle œuvre ses fans cinéphiles de la première heure et le public académique ayant apprécié l'expérience
The Wrestler. Ce défi, il le remporte haut-la-main, que ce soit sur le fond ou sur la forme, et propose ainsi à son public ce qui est sans aucun doute l'un de ses meilleurs films, dépassé néanmoins par le plus ambitieux
The Fountain.
Mais
Black Swan, c'est avant tout une performance. Celle de Natalie Portman qui trouve, sans aucun doute possible, son meilleur rôle à ce jour et qui nous offre là ce qui restera peut être comme le rôle de sa vie. Car bien que les seconds rôles soient extrêmement bons (Vincent Cassel et surtout Barbara Hershey), c'est avant tout le cygne blanc qui domine le film de sa superbe. Passant du visage angélique à celui de terrifié, passant des larmes inconsolables à la fureur meurtrière inévitable, Natalie Portman prouve une bonne fois pour toute qu'elle est bien l'une, sinon la meilleure actrice de sa génération, une chose que tout les prix du monde ne sauraient récompenser à sa juste valeur. Il faut dire aussi qu'avec un tel scénario, l'actrice portait véritablement le succès du film sur ses épaules. Car
Black Swan est, comme l'était
The Wrestler, le portrait intimiste, physique et psychologique d'une personne parmi tant d'autres, un film donc totalement subjectif, où le spectateur est contraint de limiter sa vision à celle du personnage principal. Rien de mieux qu'un tel procédé pour rendre totalement impuissant le public et le forcer à subir les douleurs et les visions malsaines. Car, comme je le disais en début de critique, la vision de
Black Swan est véritablement éprouvante dans le sens où l'on rentre rapidement dans la peau même de Nina Sayers. Du coup, chaque coupure, chaque grattage intensif, chaque goutte de sang provoque une contraction involontaire du spectateur, idem pour les visions horrifiques qui parsèment le long-métrage, augmentant l'angoisse d'un cran à chaque fois, le tout se mélangeant lors du dernier quart d'heure du film, dans une apothéose sublime, sanglante et lyrique. Quand on regarde
Black Swan, on pense forcément au
Perfect Blue de Satoshi Kon , au mythe du fantôme de l'opéra, à Alfred Hitchcock (la mère surprotégeant son enfant) et l'œuvre de Tchaïkovski bien entendu, autant de références jamais utilisées dans l'excès qui rendent le film intéressant, unique et profond. Tentative d'atteinte de la perfection, lutte pour son indépendance, rivalité entre ses pairs, schizophrénie, surpassement et sacrifice de soi ou encore exploration de notre face cachée, autant de sujets qui permettent à
Black Swan d'être clairement l'une des œuvres cinématographiques les plus intéressantes et marquantes de ces dernières années.
Il est étonnant de se rendre compte à quel point
Black Swan, en terme de mise en scène, s'inscrit parfaitement dans un déroulement logique de continuité dans la filmographie d'Aronofsky, qui propose là un subtil mélange entre
The Fountain (pour les plans au cadre très travaillé) et
The Wrestler (pour la caméra épaule, la pellicule granuleuse et l'utilisation du plan-séquence). Du coup, dès la première scène, on se retrouve spectateur d'un spectacle saisissant : celui d'une danse filmée en steady-cam où la chorégraphie se trouve, à la grande surprise de tous, magnifiée par cette caméra qui se rapproche des danseurs tout en tournoyant autour d'eux. Une alchimie originale, casse-gueule mais qui s'avère tout simplement géniale. Bien entendu, cette scène ne fait qu'écho à quelque chose de bien plus puissant : le final du film qui trouve une apothéose puissante avec la naissance du cygne noir et de sa métamorphose. Notons aussi une scène de boîte de nuit à la fois hypnotique et épileptique, surement la plus originale jamais tournée depuis le
Babel d'Alejandro Gonzales Inarritù. Toutes ses scènes, totalement différentes dans leurs atmosphères, sont liées par Clint Mansell, véritable double musical de Darren Aronofsky, qui signe là une bande-son envoutante, mélangeant des reprises symphoniques du
Lac des Cygnes de Tchaïkovski, du Chemical Brothers et des pistes rappelant fortement certains passages de
Requiem For A Dream.
Avec
Black Swan, nul doute que Darren Aronofsky signe là une œuvre majeure, que ce soit pour sa propre carrière ou pour le cinéma américain du 21ème siècle. Expérience sensorielle intense, véritable chant d'amour à l'Art et pamphlet sur les démons intérieurs de l'être humain,
Black Swan est un film complexe, poétique et effrayant sur la notion d'artiste, ses motivations et finalement sa recherche interminable de la perfection.