ADIEU PHILIPPINE (Jacques Rozier, 1962) 7,5/10
Michel, jeune technicien qui travaille à la télévision (Jean-Claude Aimini), part faire son service dans quelques mois en Algérie. Dans cette attente, il fait la rencontre de Juliette (Stephania Sabatini) et Liliane (Yveline Cery), deux amies avec lesquel il flirte, mais tarde à se décider. Sur un coup de tête, il part en Corse, rejoint par les demoiselles. Entre elles, la rivalité amoureuse finit par créer des tensions...Un film de la Nouvelle VaguePour le cinéma français, le début des années 60 correspond au déploiement d'un groupe de jeunes cinéastes qu'on allait regrouper sous l'étiquette de Nouvelle Vague. Le cinéma de Michel Rozier s'inscrit résolument dans cet esprit nouveau : tourné en décors naturels, sans aucun acteur connu, ne parlant que du quotidien, incluant de la musique contemporaine, évitant les mots d'auteur et en prise sur son temps...
Le montage est fantaisiste et ludique, ainsi, par exemple du générique du début où chaque collure de plan correspond à une saute dans le rythme de la musique qui est jouée. Inversement, le film est encore en son post-synchronisé, ce qui peut gêner dans le visionnage (pour ma part, je déteste ça). A plusieurs moments, des interventions de ce type, de la mise en scène, viennent jalonner le film sur un mode plaisant. Enfin, le jeu souvent évoqué entre images et musique permet d'aboutir aux plus belles séquences du film, la photographie étant par moment magnifique.
Par ailleurs, le cinéma est très présent dans le film : on est plusieurs fois sur un tournage (c'est le job du héros), et l'on croise un producteur véreux qui reste comme l'un des personnages les plus attachants (et les plus comiques) du film, sans doute inspiré d'un ou plusieurs personnages réels.
Pour la petite histoire, le film fut présenté à la quinzaine des réalisateurs à Cannes, en 1962, et fut acclamé par la nouvelle garde du cinéma d'auteur. Ainsi, Godard décrète que "Quiconque n'aura pas vu Yveline Céry danser un cha-cha-cha les yeux dans la caméra ne pourra plus se permettre de parler cinéma sur la croisette". Et Eric Rohmer, alors rédacteur en chef des Cahiers du Cinéma (la revue phare du mouvement) utilisera une image du film pour la couverture d'un numéro spécial Nouvelle Vague.
Un film sur la jeunesse de son tempsDemain matin, la première qui dit à l'autre Philippine aura le garçon qu'elle voudraLe film vaut énormément pour son rendu authentique de l'époque à laquelle il a été filmé : on voit Michel dans son travail (des captations de pièces télévisuelles filmées par Christophe Laverty), on traverse Paris de long en large, on voit les débuts du Club Med et la Corse des années 60, encore très sauvage.
De même, on a un portrait de la jeunesse de l'époque, avec son parlé et ses expressions d'alors, dans plusieurs scènes où l'on voit Michel avec ses copains. On verra également des déjeuner familiaux où sont évoqués les problématiques politiques de l'époque (la bombe, les Russes, les Américains...). La vérité est aussi dans les comportements, souvent bien vus.
Bref, le film est continuellement en prise sur le réel, ce qui est tout à fait plaisant et frais.
Un film subtil, qui traine parfois la jambeDes jeunes qui trainent beaucoup au caféMais, à trop déambuler, le film révèle aussi ses faiblesses. Car si Michel ne choisit pas entre Liliane et Juliette, c'est parce qu'il sait qu'il en a pour quelques semaines avec elles, avant son départ pour deux ans. De même, il peut envoyer promener son boulot sans arrière-pensée : sa place ne l'attendra pas à son retour. Inversement, du coup, par réalisme, certaines séquences trainent par trop, et on finit par s'ennuyer devant elles. Comme dans la vie, tout n'est pas follement amusant.
De même, la seconde partie, en Corse, voit les personnages partir ensemble en randonnée, et c'est le moment le plus faible du film : passé le dépaysement, les disputes entre les filles finissent par être redondantes.
Au final, le film est joli, frais et inventif, juste, mais pèche un peu par sa longueur, notamment dans la dernière demi-heure, qui n'ajoute que peu de choses à ce que l'on a déja vu. Une structure un poil resserrée aurait probablement fait un film plus prenant. En même temps, on pourrait objecter que c'est un film sur le "temps perdu", qui, justement, doit prendre le temps de flaner un peu, de trainer la patte...