Looking for Eric , de Ken Loach : 8/10
Présenté à Cannes en 2008, Looking for Eric fut indiscutablement un véritable évènement cinématographique. Tout d’abord, il marqua le grand retour de Ken Loach deux ans après It’s a free world, considéré par certains comme l’un des meilleurs films de son année, et surtout trois ans après Le vent se lève, palme d’or du festival en 2006. De plus, le film représente, comme son nom l’indique, l’incroyable association entre le metteur en scène et Eric Cantona, personnalité qui semblait aux antipodes du cinéma du réalisateur britannique. Une coopération cinématographique qui paraissait, à son annonce, quelque peu providentialiste. Néanmoins, par un traitement d’une perfection insolente, Looking for Eric se relève être un film incroyablement réussi et terriblement épatant. Indéniablement l’un des meilleurs films de son réalisateur.
Signé Ken LoachEric Bishop, postier habitant Manchester, possède une vie particulièrement misérable : croulant sous les dettes, il doit faire face aux déboires ses deux jeunes beaux-fils et possède une vie sentimentale désertique. Alors que sa fille vient d’avoir un enfant, Eric va devoir surmonter son passé pour affronter son avenir. Avec l’aide de son idole : Eric Cantona, footballeur mythique des années 90.
Derrière ce scénario qui pourrait apparaitre comme terriblement classique, Looking for Eric représente l’archétype parfait du film loachien. Les thèmes récurrents du réalisateur forment en effet le socle du film. Tout d’abord, Looking for Eric est un film qui baigne dans la révolte de ses protagonistes, tous écrasés par la dureté de la vie moderne. Ainsi, là où Damien représentait un icône révolutionnaire dans Le vent se lève, film faisant l’éloge de la révolte politique, Eric Bishop apparait comme une sorte d’antihéros sur qui repose toute la colère d’une classe ouvrière anglaise souvent oubliée. Cette révolte sociale, mais aussi existentielle – la recherche de soi, de l’amour –, va faire du personnage d’Eric Bishop un personnage atypique, parfois stéréotypé, mais indéniablement sincère. Cette sincérité, qui caractérise toujours les films du réalisateur, représente ainsi le principal point d’appui d’un scénario à la dureté parfois oppressante mais finalement optimiste.
Car la quête amoureuse que va effectuer Eric Bishop s’assimile finalement à un ticket pour la rédemption. Possédant une apparence physique qui porte les signes du temps, le postier va en effet essayer de faire face à son douloureux passé pour tenter de se reconstruire une vie sentimentale et familiale digne de ce nom. Mais de nombreux obstacles, qui formeront les points clés du récit, vont faire face à son envie de changement et d’évasion. Car Eric Bishop est incontestablement un personnage qui étouffe. Coincé entre un métier pénible et la charge de deux adolescents irrespectueux, Bishop est indéniablement un martyre moderne que nos sociétés ont réussi à créer. C’est en tout cas le message alarmiste que Ken Loach semble vouloir passer à travers des séquences marquantes – la pornographie décomplexée, la violence sublimée par les jeunes – et qui semblent le dépasser. Tel un choc intergénérationnel, l’intrigue de Looking for Eric se veut profondément moderne dans son sens le plus singulier : le film est un révélateur de notre époque et de nos pensées.
L’ironie CantonaCependant, même si Looking for Eric possède indéniablement le gène du parfait film Loachien, celui-ci détient aussi un profond humour – souvent basé sur une ironie succulente – qui vient contraster avec l’importante noirceur du scénario. Ainsi, ce contraste permet de rééquilibrer d’une manière excellente le récit afin que celui-ci ne tombe pas dans une excessive dose de pathétisme.
Le parfait équilibre dont fait preuve le film est bien entendu atteint grâce à l’excellente utilisation du personnage d’Eric Cantona. Ce dernier, véritable légende vivante pour de nombreux supporters, apporte en effet sa légendaire patte humoristique à l’aide de dialogues souvent succulents. Car son personnage, qui gravite autour de l’intrigue, contribue, de par sa nature (il apparait de manière onirique), à donner au film une généreuse dose d’humour : en fumant des joints, Eric Bishop va voir apparaitre Eric Cantona, qui viendra, à l’aide d’une morale de café de commerce, aider le pauvre postier dans sa vie. Cette autodérision affichée provoquera inéluctablement l’hilarité des spectateurs.
En saupoudrant son histoire d’évènements footballistiques – les jours de matchs au pub, les ralentis des meilleurs moments de la carrière du King Cantona –, Ken Loach n’hésite pas à afficher sa propre passion de façon éhontée. Néanmoins, le cinéaste a parfaitement réussi à traiter ce thème pour l’intégrer d’une manière très subtile à son histoire. La ferveur populaire du sport, ses valeurs et ses règles viennent en effet parfaitement coller à la vie du postier mancunien : celui-ci devra faire preuve de solidarité, de courage et finalement de sincérité pour arriver à sortir la tête de l’eau. La mécanique romanesque du récit, associée au football et à l’icône Cantona – auteur d’une prestation très correcte –, est ainsi parfaitement huilée.
Looking for Eric est finalement un film proche de son sujet : la précarité, les gens simples, la vie moderne. On peut chipoter sur la fin relativement simpliste – et qui contraste fortement avec ce qui la précède –, mais on ne peut nier que le cinéma de Ken Loach possède un charme indescriptible et une sincérité émouvante.