GHOST DOG: LA VOIE DU SAMOURAÏ
SPOILERSPlan aérien qui défile sur une ville, ambiance urbain grâce à une instru hip-hop douce , un cabanon côtoyant une volière à pigeons sur le toit d'un immeuble, un homme lisant "Hagakure", bougies, théière, des livres trainent sur une étagère, un lieu habité par la simplicité, la spiritualité asiatique et sur un bureau traine des armes à feu. En quelques secondes le ton du film est donné: lent, poétique, intimiste et spirituel. Tout ça sans esbroufe , sans forcer, sans réaliser un film de 3h. En une minute on capte déjà certains traits du personnage et la photo d'un femme sur un des murs peut facilement faire penser à une ancienne compagne , une sœur ou la mère.
Ghost Dog emprunte à plusieurs genres sans extrapoler. Ici, c'est presque dépressif, la vie est monotone, simple et émouvante pleine de bons sentiments (le trio Ghost Dog/Pearline et Isaac de Bankolé).
La solitude urbaine est très "posée", sobre mais presque enivrante.
Ghost dog est un solitaire, un "fantôme" qui parle peu, que tout le monde semble connaitre et salue d'un "Eh Ghost dog" tandis que lui ne répond que d'un mouvement de tête. Forest Whitaker impose une carrure et une profondeur subtile à son personnage.
Issu de la street, Ghost Dog est quelqu'un de cultivé (les livres, Hagakure ,Bushido, Rashomon, les échecs) et c'est un individu tacitune qui en dit bien plus long par son regard et son tempérament que n'importe quel dialogue.
Il "sent" les éléments , les êtres et les formes : ses seuls amis sont une petite fille à qui il conseille des livres, un vendeur de glace qu'il ne comprend et qui ne le comprend pas , des pigeons et tout ce qui l'entoure : un oiseau qui le déconcentre- sur son sniper-silencieux mais qui le ravit par sa présence, l'envie d'observer un autre oiseau à la lunette de visée plutôt que de continuer à observer ses cibles, des pigeons qu'il côtoient chaque jour, des sens exaltés (il observe la Lune, les deux scènes avec le chien) et le meurtre des deux chasseurs venant de tuer un ours noir...
Une philosophie très respectueuse de la Nature, de la pureté, la voie du guerrier, celle du combat, de l'art martial (Ju Jitsu )et de l'entrainement (qu'on voit sur le toit, simple mais joliment filmée avec des superpositions de plans et des mouvements flous avec un sabre, une autre arme blanche et mains nues) , de la Foi (la méditation face aux encens etc...
Ghost Dog est un "samouraï" des temps modernes. Un homme qui a choisit les voies anciennes et la solitude pour échapper (pourrait-on penser) à la vie au sol, celle de la mafia, de la rue, de la violence sourde et gratuite.
Il est un tueur à gages non pas de métier mais parce que son "code" lui oblige à devenir "vassal" de son sauveur : un vieux mafioso.
L'univers de la mafia est d'ailleurs dépeint avec un esprit décalé car les parrains sont de purs clichés dont le boss qui boitille, qui rap et connait Method Man, wu Tang Cla netc...
+ les autres qui tirent des tronches pas possibles , le vieux sourdingue et son appareil auditif, les vieux avec du bide qui sortent les guns et font le boulot des jeunes etc..c'est assez caricatural , j'aime bien, l'idée et ça permet au film de ne pas trop de prendre au sérieux car avant toute chose ce film est comme un conte spirituel contemporain.Il y a un certain humour à capter et certaines ruptures de tons ne choquent pas vraiment car elles se fondent parfaitement à l'ambiance de départ. Ghost Dog est comme un rescapé de la rue qui n'a pour autant pas oublié celle-ci. il écoute du rap, connait les gars du quartier qui trainent dehors et improvisent des texte de rap assis sur un banc, il tue proprement avec deux silencieux et quand il rengaine ses armes il a le même mouvement que celui pour rengainer un sabre. Efficace, le clin d'œil est bien trouvé et le côté " j'emprunte les anciennes voies tout en incluant les armes actuelles" ça le fait !
Forest Whitaker interprété donc un homme qui s'en jamais s'échapper de cet univers, s'est réfugié dans les anciennes traditions asiatiques pour trouver son équilibre, sa raison d'être et sa "voie".
Niveau forme on peut pas faire plus sobre. c'est même pas académique à ce stade c'est vraiment simpliste . Ça donne un côté réaliste, simple mais fonctionnel. Pas de gunfight juste quelque coup de feux (tous d'ailleurs réussit et parfois même surprenant sur le coup parce que l'ambiance habitue nos sens à être "apaisés" et d'un coup on voit ce bouddha au tempérament placide et serein sortir son arme et tirer froidement sur un mec).
Niveau référence le film serait apparemment très fortement inspiré du Samurai de Melville.
Il y a aussi bourrés de références culturelles : Le vent des saules, Rashomon, Frankenstein, l'histoire du peuple noir, Hagakure (un livre qui renvoie directement au Bushido) et toutes ces clins d'œils trouvent plus ou moins écho dans le film de Jarmusch.
Malgré tout , le scénario met en place des personnages sans jamais les développés alors qu'on sent qu'ils ont leur importance (je parle surtout de la fille du parrain que Ghost Dog croise deux fois et qu'on revoit à la toute fin dans la bagnole). J'ai pas encore saisit l'importance de ce protagoniste.
On pourrait même dire que Ghost Dog est un grand enfant naïf (les codes qu'il suit ne sont pas tous sans failles ni paradoxes et la seule personne en qui il avait confiance ne l'a pas sans doute pas sauver pour les raisons qu'il croit : à savoir l'altruisme) qui peu à peu se dessine un destin tragique, dramatique mais nécessaire à son accomplissement, son salut. Avant sa mort il aura marqué deux personnes par son caractère, son ouverture, sa culture. la petite fille ne l'oubliera jamais et évoluera peut-être même comme Ghost dog mais sans l'aspect paradoxal et le sang sur les mains. Lui-même confisque le petit pistolet au vendeur de glace.
Jarmusch remplit son film de métaphores/dictons (les fondus sur les maximes du Hagakure avec la voix-off qui la récite) comme le mec entrain de construire un bateau en peine ville sachant qu'il ne pourra sans doute jamais le faire naviguer (il y a la même histoire dans un roman de David Gemmell et le constructeur est en montagne. Un homme lui demande pourquoi il construit un bateau et l'autre répond qu'il a juste envie et que ça lui fait faire quelque chose. Qu'il se fout que son œuvre naviguera jamais).
Bref, c'est simple, profond, sobre, charmant, émouvant et spirituel.
9/10