Après un second opus qui a chamboulé les attentes que pouvaient avoir la plupart des spectateurs sur les suites de
The Matrix, le troisième opus, sobrement intitulé
Revolutions, se devait d'apporter, dans l'esprit du grand public, une conclusion qui non seulement répondrait aux questions soulevées dans les films précédents, mais aussi d'apporter des scènes d'action bien plus épiques, la promesse d'un affrontement entre les hommes et les Machines ayant été fait dans
Reloaded (de plus, Joel Silver avait avoué à l'époque que le tiers du budget des deux suites était passé dans les deux scènes d'action principales de
Revolutions, de quoi susciter l'attente donc). Le suspens était immense, la campagne marketing impitoyable (par exemple, le trailer officiel de
Revolutions n'était visible que de deux façons : rester après le générique de fin de
Reloaded ou finir dans sa totalité le jeu vidéo
Enter The Matrix) et les Wachowski restaient invisibles, ayant obligés la Warner a ne jamais être présents pour une simple interview ou pour la projection de
Reloaded à Cannes en 2003. Une absence qui peut trouver deux justifications : la préservation de leur intégrité personnelle et artistique (à l'image de ce que font les Daft Punk dans le milieu musical) mais aussi et surtout une façon de ne pas donner d'explications sur le rendu final de la trilogie, laissant aux spectateurs le soin de faire leurs propres interprétations. C'est d'ailleurs ce qui, à l'époque, a fortement contribué au lynchage médiatique des suites, Joel Silver, producteur des films, ayant promis des réponses à toutes les questions que l'on pouvaient se poser dans les deux premiers opus. C'est donc dans une incompréhension totale de la part du grand public que
Revolutions est sorti sur les écrans. La division des spectateurs sera le même que pour
Reloaded, la plupart pensant voir dans les films des Wachowski un foutage de gueule immense pendant que les autres y voyaient une brillante façon de conclure une trilogie décidément pas comme les autres.
Tout d'abord, comme pour
Reloaded, il faut questionner d'abord le titre lui-même pour comprendre comment aborder le film. Car la majorité des spectateurs voyaient en
Revolutions un titre ambitieux, une promesse d'un film qui serait la révolution de l'art cinématographique. Pourtant, le titre est loin de faire la publicité de film qui le porte puisque
Revolutions est en fait une référence géométrique, la révolution étant un terme utilisé pour désigner un cercle parfait et fait donc allusion à un recommencement qui se multiplie, celui des Matrices et de leur système qui ne fait que recommencer selon les paroles de l'Architecte dans
Reloaded.
The Matrix Revolutions est donc une pièce filmique qui doit fermer la boucle et dresser un parallèle avec le premier opus sorti en 1999 (un parallèle déjà prononcé avec la tagline de l'affiche). La première chose qui choque en voyant
Revolutions est son rythme, extrêmement différent des deux autres opus puisqu'il se concentre autour de deux scènes clés (l'attaque de Zion par les Sentinelles et le duel final entre Neo et Smith) autour desquelles se multiplient les dialogues, les combats mineurs et les scènes d'exposition. On perd du coup une certaine fluidité dans le déroulement de l'histoire que l'on trouvait aisément dans
The Matrix et
Reloaded, ce qui laisse penser à deux hypothèses : soit les Wachowski ont pensés
Reloaded et
Revolutions comme un seul et même film (les deux films ayant été tournés en même temps), soit Revolutions est clairement un opus qui se démarque des deux autres. Bien entendu, c'est la seconde hypothèse qui serait la plus probable puisque les Wachowski ont pensés
The Matrix comme une trilogie dès la fin des années 80. D'ailleurs, l'ambiance et l'histoire du film ne font que renforcer la seconde hypothèse puisque presque toutes les connaissances que pouvait avoir le spectateur des deux premiers opus sont ici totalement chamboulées. Ainsi, on apprend l'existence d'un monde situé entre la Matrice et le monde réel (le programme de l'Homme du Train), que les connaissances de l'Oracle sont aussi limitées que peut l'être l'esprit humain ou encore que Neo peut étendre ses pouvoirs dans n'importe quel endroit, ce qui laisse penser que la trilogie doit être totalement reconsidérée à la fin de cet opus. J'y reviendrais en fin de critique.
Comme je le disais plus haut,
Revolutions est totalement axé sur deux scènes clé. Deux scènes qui se laissaient présager dès la fin de
Reloaded et qui devaient porter totalement le film. La première, l'attaque de Zion par l'armée des Machines, est tout simplement monumentale dans le sens où l'on n'a jamais vu quelque chose de pareil au cinéma. Une gigantesque bataille où règne le chaos, où les points de vue sont multipliés (le Hammer, les fantassins, Zee, les Mechas, le capitaine Mifune, le Kid, le commandant Lock, etc...) mais où la lisibilité de l'action est telle que le spectateur ne se demande jamais où il se trouve et qui il suit. C'est aussi une scène qui jouit d'une démesure la plus totale et ce, sans jamais tomber dans la surenchère. Les images et les moments marquants se succèdent (le silence de mort avant l'attaque, les milliers de balles tirées vers l'unique entrée des Sentinelles, Zion en flamme ou encore le capitaine Mifune face à l'ultime attaque des Machines, etc...), tout est mis en place pour transporter le spectateur dans un déluge d'action et de destruction sans que jamais cela ne paraisse gratuit. Cette scène est véritablement marquante et mériterait d'être considérée par tous comme l'une des batailles cinématographiques les plus épiques jamais créées. La deuxième scène quand à elle, est beaucoup plus classique dans le sens où elle est véritablement construite comme le duel entre Neo et Smith dans la station de métro dans
The Matrix (on y retrouve les mêmes plans façon western). La différence étant que la démesure est, là aussi, de mise. Ainsi, le terrain de jeu s'élargit pour laisser une mégalopole entière à la merci de la folie destructrice de Neo et Smith, une folie qui se caractérise par des attaques surpuissantes où le béton se détruit aussi facilement que du petit bois. Cette séquence est d'ailleurs assez représentative de la trilogie des Wachowski puisqu'elle mélange les inspirations religieuses et philosophiques (la thématique du choix, le chant Navras qui illustre le duel) ainsi que les références culturelles (le combat en vol qui rappelle fortement de nombreux mangas, les plans en contre-jour tirés tout droit du cinéma d'action oriental et du néo-réalisme occidental), même la photographie portant sur le vert et la pluie en ligne droite incessante rappelle le code de la Matrice que surveille d'habitude les opérateurs du monde réel. Certains plans ont même le mérite de figurer parmi les plus beaux de la filmographie Wachowskienne, comme ce travelling zénithal qui suit les deux combattants s'envolant au fil des buildings ou cette onde de choc qui s'étend sur des kilomètres avant de s'atténuer lentement. Rien que pour ces deux scènes résolument dantesques,
The Matrix Revolutions damne le pion à la plupart des films d'action de ces dernières années et mérite véritablement le coup d'œil.
Toutefois, comme je le disais plus haut, le film a aussi le défaut de s'axer uniquement sur ces deux scènes principales, donnant aux scènes dialoguées l'impression de n'exister que pour les justifier. Heureusement, cette désagréable impression n'apparaît que rarement, les Wachowski ayant la bonne idée de donner à leur ultime épisode quelques courtes scènes jouissives ainsi que de nombreuses histoires secondaires intéressantes. Ainsi, la recherche de Neo chez le Mérovingien donne lieu à une scène surprenante : une sorte de remake de la scène du hall du premier épisode mais où, cette fois, la gravité est inversée pour une partie des combattants. Cette scène, bien que trop courte pour que son potentiel soit pleinement utilisé, est d'ailleurs introduite de fort belle manière avec plusieurs plans au ralenti dont seul les Wachowski savent les faire. Il est aussi intéressant de noter que la scène qui suit ce combat, une entrée dans le repaire nocturne du Mérovingien, ressemble à s'y méprendre à celle de la boîte de nuit de
The Matrix, avec exactement la même utilisation du travelling latéral. Nul doute que
Revolutions porte bien son nom puisque nombre de détails comme ceux-ci rapprochent le film du premier opus de la trilogie. Mais le lien se fait aussi dans le sens contraire puisque l'on remarquera que le plan final de
Revolutions n'est autre qu'un lever de soleil sur la Matrice, un soleil qui était déjà destiné a clore la trilogie dès la conception du premier film puisqu'il est visible sur l'affiche sur laquelle est projeté Neo dans la station de métro lors de son combat avec Smith.
Avec ce lever de soleil, les Wachowski finissent leur trilogie de manière extrêmement ironique puisqu'au final, rien de ce qui n'a été montré pendant la totalité de la trilogie n'est vrai. Ainsi, le monde réel est lui aussi une forme seconde de la Matrice. Bien sur, cela reste une interprétation personnelle (c'est d'ailleurs le nombre d'interprétation possible qui rend l'œuvre des Wachowski tellement intéressante) mais de nombreux indices vont dans ce sens : la capacité de Neo à transposer ses pouvoirs dans le monde dit réel (il est censé être un simple humain avant tout), le fait que le virus Smith puisse totalement s'intégrer dans l'organisme humain de Bane (un virus informatique prenant possession d'un corps humai est tout bonnement impossible), le nombre de Sentinelles exactement proportionnel au nombre d'habitants de Zion (comment les Machines peuvent-elles savoir qu'il y a très exactement 250 000 humains ?), le choix proposé à Neo face à l'Architecte qui lui propose de choisir la reconstruction de Zion (comment le programme source de la Matrice peut-il avoir le moindre contrôle sur un élément du monde réel ?), la dernière phrase de Morpheus ("Is this real ?") ou encore l'ultime dialogue entre l'Oracle et l'Architecte. Ainsi, la Matrice serait une sorte de partie d'échec éternelle entre deux programmes, l'un ayant comme atout une technologie exceptionnelle (les Machines) et l'autre ayant en sa possession un programme capable de redéfinir ce qui l'entoure à sa guise et ce, malgré un humanisme qui peut le mener à sa perte (l'Élu). D'ailleurs, on peut aussi se demander comment un programme comme l'Oracle peut prédire à l'avance ce qui se déroule dans un univers totalement humain, personnellement je pense que l'Oracle serait une somme de tout les autres Élus ayant déjà existé (six au total), ce qui lui permettrait de savoir à l'avance les choix et les pensées de chaque protagoniste majeur rencontré (Morpheus, Trinity ou tout simplement Neo). Cela expliquerait d'ailleurs pourquoi le Mérovingien chercherait à se procurer ses yeux (il détiendrait alors la connaissance ultime et serait alors le programme-clé de la Matrice, ce dont il rêve sans aucun doute) ou encore pourquoi le virus Smith contaminerait l'Oracle (obtention des pouvoirs des Élus précédents mais aussi connaissance de ce qui peut se produire lors du combat final, c'est d'ailleurs là son point faible puisqu'il ne pense pas une seule fois que Neo puisse utiliser son libre-arbitre). Enfin, le fait que l'Oracle soit visible, inconsciente, dans le cratère du duel final, ne ferait que renforcer cette hypothèse. Avec un tel final, le message premier de
The Matrix (ce qui nous entoure n'est pas forcément réel) prend une ampleur vertigineuse,
Reloaded et
Revolutions questionnant la véracité même du monde dit réel.
Œuvre grandiose et titanesque, la trilogie
Matrix trouve avec
Revolutions une conclusion à la fois marquante sur la forme mais aussi terriblement déconcertante sur le fond. Nul doute qu'avec ces trois films, les frères Wachowski ont signé ici l'œuvre de leur vie. Une œuvre qui, quel que soit l'avis de chacun sur la totalité de la trilogie, trouve une concordance parfaite pour un résultat véritablement impressionnant. Que dire de plus si ce n'est que la trilogie
Matrix est appelée à devenir l'un des piliers majeurs de la science-fiction moderne. Wachowski rules.