Suspiria (1977) by
Dario Argento ---
8.5/10Une Oeuvre charnière dans la carrière du génial cinéaste Italien. Délaissant le 'Giallo', genre qui a fait sa réputation avant 1977 (renommée qui sera confortée dans les années 80),
Dario Argento s'attaque à une tentative expérimentale donnant naissance à un style propre qu'il avait plus ou moins déjà introduit dans
Profondo Rosso 2 ans auparavant et qui confirme un talent artistique indéniable...
Dès les premières secondes, de plus sur un plan on ne peut plus classique (l'arrivée de
Jessica Harper à l'aéroport de Fribourg), l'expérimentation d'
Argento nous saute aux yeux : c'est le début d'un étalage de couleurs et de basses lumières qui ira crescendo au fil du Film avec pour point d'orgue les nombreux intérieurs labyrinthiques de l'Académie de Danse aux teintes multicolores saturées au possible par
Luciano Tovoli, le Directeur de la photo. Sous une pluie diluvienne et parsemée d'un thème musical tout simplement fabuleux et inoubliable composée par les '
Goblin', nous avons droit à une introduction qui en dit long sur les 99 prochaines minutes qui nous attendent hissant ainsi
Suspiria vers des hauteurs stratosphériques...
Un cinéaste autre qu'
Argento aurait certainement conservé le 1er meurtre -celui de '
Pat'- afin de le placer dans l'épilogue pour obtenir un climax certain. Mais non !! Pas
Dario !! Il nous colle cette fameuse scène dès les 10 premières minutes et, hormis le style visuel expliqué plus haut qui grave nos rétines à tout jamais, on a l'impression de se retrouver dans cette scène face à un Opéra Fantastique tant la musique de
Claudio Simonetti est un personnage à part entière apparaissant comme une allégorie d'une présence maléfique dont on ignore encore l'identité. Pour en revenir à l'esthétique, j'ai même pensé un instant au fait que
Stanley Kubrick se soit inspiré des intérieurs de ce lieu du 1er meurtre pour concevoir son
Hôtel Overlook dans
Shining...
Vous l'aurez compris, le côté esthétique de
Suspiria est son gros point positif, bien plus que cela même, c'est une sorte de révolution visuelle et intemporelle dans le VIIème Art puisque plus de 30 ans plus tard, on est encore sous le choc de cette création parfaitement maîtrisée du décor, de son exposition et de la lumière. J'ai aussi pris l'Oeuvre comme une succession de plans pouvant être assimilés à des toiles de Maître. On se pose là devant un cas assez unique puisqu'on semble déambuler dans un musée où de longs corridors (comme ceux de l'intérieur de l'Académie) exposeraient des peintures au style baroque...
Et en parlant de baroque, il n'y a pas que les décors et l'ambiance qui sont concernés. Certains personnages également comme '
Miss Tanner', parfaite en "mère fouettard", qui avec son sourire éclatant -n'étant pas l'élément le moins terrifiant de
Suspiria- fait composante d'une galerie de physiques étranges voire grotesques. La cuisinière (et sa jumelle), le domestique Hongrois '
Pavlo' et même je jeune neveu '
Albert' (issu d'une autre époque de par sa tenue vestimentaire et dont on se demande s'il n'est pas le fruit issu d'un rituel de sorcellerie) possèdent des visages inoubliables et entrent dans la composition de cette atmosphère maléfique. Enfin,
Joan Bennett, dont ce fut là le dernier rôle, campe une '
Madame Blanc' idéale avec un savant mélange de gentillesse, de naïveté, de froideur et de perfidie...
Dario Argento assume pleinement ses références et inspirations en lorgnant du côté de
Disney et des studios Technicolor (époque
John Ford) au niveau de l'esthétique. Concernant le scénario, il faut chercher du côté de
Blanche-Neige et les 7 Nains,
Alice au Pays des Merveilles mais aussi vers les contes de
Grimm, les forêts profondes et les contes de fées Européens. Du reste, le choix de la ville de Fribourg comme lieu d'action n'est pas un hasard puisque, située en pleine Forêt Noire, elle respire encore le climat de ces récits de terreur. Donc, pour résumer,
Suspiria peut s'apparenter à un conte moderne narrant le passage difficile de l'enfance à l'âge adulte. Quand on regarde de plus près ces jeunes filles de l'académie de danse, on s'aperçoit qu'elle réagisse plus ou moins comme des enfants. D'ailleurs, au départ,
Argento voulait réaliser son Film avec des enfants mais la
Fox a refusé. Il a tout de même conservé certains détails intéressants et qui hissent encore une fois son métrage vers des sommets comme ces poignées de portes volontairement situées au niveau du visage des jeunes danseuses pour appuyer cette impression d'enfance (voir capture ci-dessus). Superbe !!!
Je vais insister encore un peu plus sur la photographie exceptionnelle si riche en couleurs de la part de
Luciano Tovoli qui utilise la singularité des décors en lui apposant un travail sur la lumière tout bonnement hallucinant. A titre d'exemple, observez la comparaison des captures de la scène du dortoir, d'un simple jeu d'ombres et lumières on obtient 2 ambiances différentes où le bien et le mal se font opposition. Comme quoi quand le talent est présent, la suggestion d'une présence maléfique se joue visuellement à très peu de choses.
Un p'tit mot sur
Jessica Harper -
Daria Nicolodi ou Mme
Argento peste encore aujourd'hui de ne pas avoir joué ce rôle- interprète de manière très juste cette jeune héroïne de conte, son physique de femme-enfant aidant parfaitement à coller à l'image de son personnage. Elle symbolise l'innocence et la pureté face au monde effroyable des adultes...
Concernant les maquillages et effets spéciaux, les captures ci-dessus parlent assez d'elles-même : c'est parfait ou presque !! Même la scène de l'aveugle dévoré par son chien est un bijou de maîtrise de mise en scène qui alterne plan large (vrai chien) / gros plan (faux chien). Ceci dit, la '
Mater Suspiriorum' aurait mérité plus d'attention et de traitement car la Mère des Soupirs ne fait pas spécialement peur. Idem pour la chauve-souris qui, en plus d'être pourvue d'un trucage plus que moyen, participe à une scène pas forcément utile...
Un mot quand même pour la BO du Film signée comme pour
Profondo Rosso par
Claudio Simonetti, leader des '
Goblin' et qui n'hésite pas lui aussi à faire dans l'expérimental car si, comme à son habitude, il utilise des claviers précurseurs des synthétiseurs et séquenceurs, il n'hésite pas à y rajouter un instrument Grec découvert par
Argento : le bouzouki, un instrument à cordes dont on tire des sonorités sombres et vibrantes et qui fait son petit effet lors des pré-scènes de meurtres. Ajouté à cela, l'intégration des soupirs angoissants des autres membres des '
Goblin', on obtient juste un soundtrack d'anthologie...
Je vais finir par les petits points négatifs qui empêchent
Suspiria d'atteindre la note maximale. L'Oeuvre aurait pû être bien plus effrayante que cela, l'ambiance sinistre et inquiétante fondée par les nombreux éléments décrits dans cette critique est parfaitement posée mais il manque un petit quelque chose pour que l'ensemble s'envole vers une véritable dimension épouvantable. A commencer par une Sorcière bien plus charismatique et un final beaucoup plus inoubliable. Selon moi, la jeune '
Suzy' se débarrasse trop facilement de la '
Mater Suspiriorum' et de ses disciples, c'est quand même une des 3 Mères des Enfers bon sang...
Enfin, je vais terminer par un dernier Plan magnifique et qui sera à peu près le seul qui intégrera une référence au 'Giallo' : ce fabuleux rasoir accompagné de 2 barrettes posés sur cette tablette rouge...