ARMADILLO: 8.5/10de Janus Metz
Mads et Daniel se sont engagés dans l'armée et sont envoyés, pour leur première mission, dans le camp d'Armadillo, en Afghanistan. Ils sont suivis par la caméra de Janus Metz qui nous offre là une plongée au cœur de la guerre en compagnie de l'armée danoise…
Une frontière ténue et saisissante entre documentaire et fictionLa guerre, toujours la guerre… Comme une envie, une distraction, voire même une drogue. En préparant "Armadillo", Janus Metz voulait comprendre cet engouement pour le combat de la part de soldats voulant retourner en terrains hostiles. Pour ce faire, il parvint à obtenir les autorisations pour s'immiscer dans ce bataillon et surtout, il y réussit à faire oublier ses caméras six mois durant.
La distance entre celles-ci et les soldats s'efface totalement, nous offrant des discussions révélatrices et de saisissantes images transcrivant l'état brut de la violence des combats. Metz décortique le quotidien des engagés. Entre les habituelles confrontations entre afghans opposés aux présences militaires étrangères, ceux favorables mais qui ne veulent se mettre en péril face aux talibans, les ressentis limites racistes et orgueilleux de certains soldats et leurs distractions exutoires devant jeux vidéo ultra-violents et films pornographiques, le réalisateur danois offre ici un document éloquent sur les tensions qui s'accumulent et qui se répercuteront forcément sur les populations locales.
En effet, contrairement à de premières impressions qui laisseraient présager une vulgaire propagande pour les forces militaires danoises, "Armadillo" met brillamment en exergue les facteurs provoquant le glissement progressif des meilleures intentions vers la part obscure de l’homme. L’ennemi pouvant être dissimulé à chaque endroit, les frustrations des troupes liées au manque d’action espérée et la peur des mines anti-personnelles disséminées un peu partout exacerbent préjugés et suspicions envers les civils pris entre deux feux. On assiste alors, à une intense séquence de combat, à l’issue de laquelle un groupe de soldats danois décide d’achever plusieurs Talibans. Le plus effarant reste l’enquête, très vite expédiée, qui, suite au silence solidaire militaire, fait taire toute suspicion. Ils seront finalement décorés…
Reste la forme, tout bonnement hallucinante. En démarrant sur un générique présentant les protagonistes à la manière d'un film de Guy Ritchie, lors d’une soirée de départ très arrosée, le réalisateur danois, annonce d'emblée qu'il va se jouer des codes du documentaire. Metz met tous les moyens en œuvre pour qu’"Armadillo" s’apparente à une fiction : photographie ultra-travaillée, musique accentuant la dramatisation, et surtout, aucune interview, aucun témoignage à la caméra ne vient perturber la sensation d'être devant un vrai film de guerre. Les seules interventions sont les discussions entre soldats et leurs hiérarchies ou les autochtones afghans.
Mais ce sont les séquences au cœur de l'action qui sont les plus saisissantes. Les moyens mis en place par l'équipe de Janus Metz sont assez impressionnants. Elle se paye le luxe d'avoir plusieurs caméramans embarqués avec un bataillon et, lorsqu'une embuscade se déclare, ils tressaillissent d'abord, puis parviennent à se placer de façon à rendre ces séquences aussi lisibles que dans n'importe quelle fiction et ce, au péril de leurs vies. On se croirait à de nombreuses reprises devant certains épisodes la série "Génération Kill", série qui rend très bien cette atmosphère entre oisiveté et embuche inattendue venant réinjecter une dose d'adrénaline dans les veines des soldats. D'ailleurs, le propos d'"Armadillo" se rapproche de celui du "Démineurs" de Bigelow : tous deux traitent du caractère addictif de la guerre. Et sur le fond comme sur la forme, le danois Janus Metz, qui a remporté le Grand Prix de la Semaine de la Critique 2010 à Cannes avec ce documentaire, n'a pas à rougir de la comparaison.
Alex
[Acticle rédigé pour le site
abusdecine.com dans le cadre de la
couverture du festival de Cannes 2010]