Sailor et Lula , de David Lynch : 4/10
Sailor et Lula est incontestablement un ovni cinématographique comme David Lynch parvient sans cesse à réaliser. Adapté du roman de Barry Gifford, le film, qui retrace la passion amoureuse de deux jeunes américains, est à la fois porté par un onirisme explicite et une réalité aux multiples interprétations ; contraste souvent établit dans les films du réalisateur. Néanmoins, Sailor et Lula, misant sur une simplicité parfois aberrante au mépris d’une certaine profondeur, pourrait aussi apparaitre comme l’un des films les moins aboutis du réalisateur, malgré la prestigieuse palme d’or qui lui fut attribué au Festival de Cannes 1990.
Un road-movie contemporainSailor et Lula est sans contestation possible un film purement lynchien, que ce soit dans sa forme ou dans son fond. Ici, David Lynch va jouer sur les tonds enivrants de ses images pour offrir au spectateur un monde rempli d’amour passionnel, de folie meurtrière mais aussi et surtout de démence incontrôlée. Car l’ambiance qui se dégage de cet objet cinématographique baigne à la fois dans un onirisme de surface et dans une réalité mensongère et décapante. La scène d’introduction, déjantée et faisant appel aux plus bas instincts humains, présente une violence crue et brute qui donnera au film son ton si particulier : le fil conducteur du récit, linéaire, ne cessera d’être perturbé par de nombreux éléments plus mystérieux les uns que les autres. Le film se veut ainsi complètement décalé, à l’image de ses personnages possédant chacun une identité reposant sur le socle commun de la liberté.
L’amour est un sentiment particulièrement présent dans la filmographie de David Lynch, et Sailor et Lula ne vient pas déroger à la règle. Ces deux personnages, unis par un amour qui semble fusionnel, vont parcourir les Etats-Unis en voiture pour fuir leur misérable destiné enchainée dans la spirale du conformisme. Mais cette entreprise n’est pas du goût de la mère de Lula, qui voit en Sailor l’incarnation d’une violence perverse. Celle-ci décidera alors de faire suivre le jeune couple pour mettre fin à leur union. Ces personnages, très caricaturaux, ne cesseront d’apporter par leur caractère édulcoré une touche irréelle au film, tant les situations qu’ils génèreront seront teintées de fantaisies propres aux films du réalisateur. Ces présages que le couple croisera – l’accident de voiture sur l’autoroute, l’imminence d’une mort inéluctable – contrastent avec la vitalité qu’inspirent leurs pas de danse grossiers qu’ils effectueront dans les bars bordant cette route interminable. Sailor et Lula est finalement un film qui repose sur la folie dévastatrice de ses protagonistes : la folie amoureuse et sexuelle du couple, la folie meurtrière de leurs poursuivants, la folie comportementale de la mère de Lula. En ce sens, le film de David Lynch ne pouvait présenter de schéma narratif stable et maitrisé tant son exubérance parait grossière par de nombreux moments.
Finalement simplisteCar, en surface, le film peut se targuer de posséder un scénario relativement bien ficelé. L’obsession de la mère de Lula se retrouve en effet mystifiée à merveille, et de nombreux flashbacks permettront de comprendre les causes, morbides, de cette entreprise. David Lynch parvient ainsi à donner un certain souffle à son film. Malheureusement, dans la longueur, Sailor et Lula n’arrivera jamais à convaincre totalement. Pis, dans ses moments les plus symboliques, le film se perdra dans des nuages d’obscurantisme souvent sans sens.
Tout d’abord, le schéma narratif reste beaucoup trop simpliste. Si la première heure du film propose une amorce convenable – car intrigante – à un scénario simple mais efficace, la suite du récit glissera peu à peu dans une succession de séquences fortes et choquantes mais indéniablement inutiles. Ainsi, les multiples scènes sexuelles, très torrides et décrivant une union matérialisée par un plaisir sauvage, sont sans doute présentes pour combler un manque, pour donner un faux rythme à un film qui semble pédaler dans la semoule tout au long de son déroulement. A l’image de ces séquences – certes réussies – qui privilégient une violence barbare dans le but de secouer un spectateur endormi par le déroulement très monotone du film. L’ennui pointe alors très rapidement le bout de son nez, tant la trame qui se déroule sous nos yeux parait peu passionnante, malgré l’interprétation succulente des acteurs qui la compose : Nicolas Cage, dans un rôle d’Elvis Presley du pauvre, offre ici inévitablement un de ses meilleurs rôles tandis que Laura Dern parvient à imposer sans difficulté une dose d’érotisme frémissante à un film qui manque, hélas, de saveurs.
De plus, Sailor et Lula sombre parfois dans un abus de nihilisme maladroit et déstabilisant à plus d’un titre. La séquence finale, qui voit apparaitre un ange redonnant espoir à Sailor, parait beaucoup trop grossière pour convaincre réellement. La dernière partie du film baigne ainsi dans une sorte d’autisme égoïste qui ne laisse que peu de place à une explication convaincante du scénario : en guise de chute, le spectateur se retrouvera écrasé par une multitude d’incompréhensions, sentiment particulièrement frustrant. Dommage, car, en jouant sur les acquis utopiques d’une certaine idée de l’Amérique, David Lynch était parvenu à faire de son film un réel objet cinématographique vecteur de modernité.