KEOMA
SPOILERSKeoma....
Ce titre/nom résonne à travers le cinéma italien et le genre western comme une œuvre crépusculaire majeure.
Photographie apocalyptique ; héros au charisme remarquable et au regard de glace impénétrable ; musiques atypiques et chansons country fort bien utilisées (même si la principale est peut-être un trop mis en avant à plusieurs reprises et que finalement je l'aime pas trop cette soundtrack : Keoma aurait pu bénéficier d'une bande originale plus époque, plus religieuse, plus sacrée avec des chants grégoriens et chœurs profondément graves mais bon je chipote) ; métaphore biblique/christique indémodable et subtile ; mise en scène qui a de la gueule et pas n'importe laquelle: du Peckinpah, du Leone, du Corbucci = Keoma, western aux plans recherchés, aux ralentis magnifiques et au ton résolument solennel et pessimiste.
Le réalisateur pose l'ambiance dès l'ouverture et l'avancée de son "icône" dans un village que l'on croirait tout juste rescapé de la Fin des Temps.
Une vieille femme aux haillons malpropres observe la silhouette chevelue et barbue solitaire sur son cheval blanc, signe de pureté. Une âme vengeresse en quête d'un Salut purement égoïste comme il le déclarera plus tard. La femme implore Némesis de ne pas faire jaillir le sang. de ne pas "tuer". Keoma l'écoute mais "tout doit se payer" seront ses derniers mots lors d'une introduction au visuel post-apocalyptique intense dont beaucoup pomperont le style des années et des décennies plus tard.
Un flashback nous montre l'origine indienne du héros. Un sang mêlé , seul survivant d'un massacre et recueillit par un homme blanc qui l'éduquera ainsi que 3 autres fils, naturels quant à eux. Une enfance pleines de disputes entres les 4 enfants dont l'éternel renié et battu ,tel un loup omega.
Les flash back sont simples et ne tombent pas dans le trip des effets de style en tout genre. Ici, tout est raccordé en temps réel. Keoma se voit gosse et tout est intégré dans la même scène et/ou le même plan (comme pour le retour vers le massacre indien dans l'ouverture). Ça permet de mettre en avant un passé qui n'est pas si lointain et qui possède une place très importante dans le cœur de Keoma. Son enfant fût à la fois merveilleuse grâce à son père et terrifiante à cause des 3 autres fils mal aimés jaloux d'un "bâtard" dont le paternel accorde plus d'attention, sans doute à cause du tempérament, du vécut et de l'origine de celui-ci.
Un présence incroyable que ce Franco Nero au charisme redoutable et à l'âme torturée voyageant avec vélocité dans des paysages immenses..
Comme pour le Grand Silence , Keoma bénéficie d'une réalisation parfaitement maitrisée aux plans multiples et efficaces. Le héros possède pleins de portraits iconiques mettant son regard en valeur et les éclairages ainsi que les décors sont si bien mis en valeur que le terme "crépusculaire" est tout trouvé spécialement avec ce film et Le grand silence sans oublier L'homme des hautes plaines. Tous possèdent une ambiance ténébreuse, sombre, et la pluie de nuit est un des éléments qu'on retrouvent souvent. La boue, la crasse, les constructions dont personne ne s'occupent qui s'affaiblissent , pourrissent et tombent en ruine etc....L'univers du film est évidemment au bord du jugement dernier et la frontière avec le fantastique est mince grâce à la vieille femme récurrente qui apparait de manière incongrue à chaque fois, quand on ne s'y attend pas et sortant de nulle part en poussant son chariot. Le ton de ces scènes et l'origine des deux personnages soumettent l'idée que Keoma serait une sorte d'Élu.
La peste, la guerre, les hors-la-loi...tout sombre.
Au milieu de tout ça, des gens persistent à continuer leur vie et gagner leur pain honnêtement.
Keoma se fait side-kick d'un village (et surtout d'une femme enceinte) et le cinéaste s'occupe vraiment de son protagoniste grâce à une sublime séquence où le héros revient sur sa terre , chez son père adoptif et discute avec lui lors d'un travelling circulaire assez long où du fils nous allons vers le père le totu sur une discussions profonde où Keoma touche par une son innocence camouflée avec des questions comme "Qu'est ce que la guerre? POurquoi la guerre?". Une séquence intimiste digne d'entrée au panthéon des meilleurs.
Le Christ et Dieu ?
En tout cas le film assume parfaitement la métaphore jusque à la fin et la quasi crucifixion de Keoma dont le design aux cheveux longs, barbe, et style hippie rappelle fortement celui du Messie.
La scène de fusillade finale elle envoie clairement du lourd en enchainant les plans sacralisant chaque posture de Keoma, chaque mouvement et tous les morts possèdent un ralentit qui donne de l'importance à la violence. Pas d'apologie mais un sens moral à l'ancienne, brut et dur où la loi du talion règne un maitre tel l'ancien testament renié par le Christ.
La fin est surprenante parce qu'elle ne laisse finalement aucun espoir. La femme accouche et meurt. Le bébé est entre les mains de la vieille femme et Keoma n'en veut pas. "un homme libre n'as pas besoin de rien". Étant donné que la femme n'existe sans foute pas , Keoma abandonne donc le bébé à son sort dans une bâtisse perdu au beau milieu d'un no man's land. Finalement Keoma est un égoïste qui n'a voulut qu'une chose: se venger de ses frères qui l'ont rabroués + se venger du massacre indien + trouver le salut en aidant les faibles. Au final, il n'assume pas la responsabilité du nouveau né alors qu'en sauvant la vie de la femme enceinte et en vivant près d'elle il devenait quasiment le père du futur né...
Putain de western où la relation père fils trouve un écho incomparable. Le personnage de joué par Woody Strode est excellent: pauvre black miséreux qui passe son temps à se faire frapper, sombrer dans l'alcool et oublier qui il était: un fier guerrier en quête de liberté mais celle-ci est illusoire. La photo du dialogue entre lui et Keoma est excellente :
8.5/10