Biutiful, d'Alejandro González Inárritu : 8/10
Le nouveau film d’Inàrritu était particulièrement attendu, principalement pour deux raisons. La première était de l’ordre de la curiosité : désormais orphelin de son talentueux scénariste Guillermo Arriaga, comment le réalisateur mexicain allait-il aborder ce décisif virage dans sa carrière ? L’absence de l’auteur de Babel, 21 grammes et Amours chiennes allait inéluctablement se faire ressentir.
La seconde était de l’ordre de l’impatience : Javier Bardem serait enfin dirigé par le génial réalisateur, avec en prime le rôle clé d’un scénario noir et particulièrement lourd - l’acteur y interprétant un personnage atteint d’un terrible cancer de la prostate.
Film noir par excellence, Biutiful est cependant doté d’une touche émotionnelle autant dramatique que porteuse d’espoir. Un film réjouissant et indéniablement réussi.
Le combat finalC’est dans un Barcelone décimé par la pauvreté et la misère qu’Alejandro González Inárritu a décidé de porter un récit qui s’articule indiscutablement autour de l’infortune et de la révolte, qu’elle soit sociale ou existentielle. Car le combat d’Uxbal, personnage aux traits durs et sinistres, est d’abord un combat contre l’oubli et la négligence. A la suite de la découverte de son cancer, ce père de deux jeunes enfants fera tout pour se construire un souvenir ineffaçable de père modèle et attentionné. Cette révolte, résolument existentielle, sera matérialisée par une envie débordante du personnage de faire le bien dans son quotidien bordé de malaises et de terribles drames symboles de notre début de siècle et de ses excès dictatoriaux : le matraquage des sans papiers ou l’exploitation humaine seront ainsi des sujets gravissant autour de l’archétype d’un personnage définitivement marginal. Le traitement du sujet est alors catégoriquement réaliste : pas de surenchères ni d’accentuation naïve de la misère, Biutiful réussit à représenter avec une évidence certaine la dureté de son propos, centré sur l’évolution d’une maladie au silence ravageur.
Mais c’est par son approche souvent métaphorique et fantastique de la mort que le scénario de Biutiful sort indéniablement des sentiers mille fois battus. Rapidement, le spectateur sera en effet surpris d’apercevoir qu’Uxbal détient certains talents de médium et que celui-ci parviendra alors à rentrer en contact, d’une manière brutale, avec les morts. Et c’est exactement sur ce point que le scénario d’Inàrritu se relève d’une efficacité redoutable : en confrontant le terrible réalisme d’un quotidien désastreux et le surréalisme d’un pouvoir divin, le réalisateur parvient à déstructuré son récit en l’agrémentant d’une profondeur scénaristique évidente. Le procédé pourrait paraitre providentiel ou ridicule, il apparaitra finalement comme une lueur de beauté ahurissante tant son celui-ci est distillé avec un équilibre saisissant : jamais envahissantes, les visions d’Uxbal accentueront ainsi la détresse d’un personnage écrasé par une avalanche de souffrances physiques et morales. Surtout que celles-ci, appuyées par des musiques captivantes, sont magnifiquement mises en scène.
Cet écrasement du temps soulignera le coté intemporel de la pauvre condition d’un personnage confronté à son passé, par la rencontre physique de son père décédé, à son présent, par la construction d’une vie familiale avortée, et à son avenir, par l’approche d’une mort imminente mais non annoncée à son entourage. Ce désarroi, cette chute libre et cette spirale de détresse sera d’un terrible poids pour le spectateur qui parviendra difficilement à accepter le sort d’un futur défunt en quête d’un dernier amour sincère.
Javier Bardem, exceptionnelFort d’un propos à la fois sincère et terriblement touchant, Biutiful est un film qui dispose d’un cachet particulièrement noir et pessimiste. Ainsi, les images que nous offre Inàrritu sont d’un contraste sublime et d’une instabilité perturbante, notamment dans leurs moments les plus difficiles : le plan où Uxbal se pratique une prise de sang est, par exemple, véritablement majestueux. Les musiques accentuant l’immersion de ce portrait intimiste sont, elles aussi, d’une justesse réjouissante. En fait, Biutiful est à la fois d’une sobriété classieuse et d’une fantaisie parfois virtuose (dont les dernières séquences en sont les exemples parfaits).
Alors, on pourra reprocher au film de disposer d’un rythme profondément imparfait : d’une durée de plus de deux heures, Biutiful aurait surement gagné à être un plus étroit et moins contemplatif. Certaines scènes sont ainsi indiscutablement ratées et d’un intérêt, que ce soit scénaristique ou cinématographique, moindre.
Cependant, la contemplation dont fait parfois preuve Biutiful est d’une justification indéniable, principalement grâce à la performance résolument parfaite de Javier Bardem. D’une sincérité extraordinaire, l’acteur nous gratifie ici d’un de ces meilleurs rôles. Le récit est tellement lourd et large que le faire reposer exclusivement sur un personnage paraissait suicidaire. Mais Javier Bardem parvient à prouver avec Biutiful qu’il fait indiscutablement parti des meilleurs acteurs de sa génération.
Premier film linéaire de son réalisateur, Biutiful est un film instable et déstructuré. Incroyablement émouvant et profondément alarmiste sur une certaine déshumanisation rampante, le film d'Alejandro González Inárritu est d'une réussite exemplaire en réussissant le pari d'être à la fois universel, dans son propos dur et réaliste, mais aussi personnel, dans son penchant fantastique. A voir sans hésitation, ne serait-ce que pour l'incroyable performance de Javier Bardem.