CASINO |
PLAN A TROIS SUR LE FIL. | 9/10« C’est en début de semaine, dans la nuit de mardi à mercredi que s’est déroulée l’histoire qui fait trembler notre pays et valser la langue de tous les français. Pierre Corda, 19 ans, était retrouvé pendu par le dos, à l’aide d’un crochet de boucher, place Blackjack 21. Un fait divers qui pourrait sonner la banalité si l’on n’avait pas retrouvé des jetons ensanglantés, disposés savamment sous le jeune homme, afin d’écrire le mot « tricheur ». Ajouter à cela que la victime de cette cruelle torture se trouve être un génie des mathématiques, annoncé comme le potentiel prochain prix Nobel des statistiques, et vous obtenez une bombe politique prête à exploser.
Tous les yeux sont évidemment braqués vers Nicky Santoro, le monsieur météo de notre ville, à qui l’on doit les plus belles nuits rouges de ces dernières années. L’homme aime jouer avec les médias, et j’ai donc décidé de jouer le tout pour le tout pour toi, fidèle auditeur. Je suis allé à sa rencontre, conscient des risques que j’encoure, la boule au ventre et les mains moites. Vous allez suivre, en direct, mon interrogatoire de cet homme digne des plus cruels mafieux imaginés par les cinéastes du genre. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Nicky s’est retrouvé à l’affiche du film qui a marqué le cinéma l’année dernière, un certain Casino de Martin Scorsese. Ce dernier n’avait pu assister à l’avant première de son film car cloué sur un lit d’hôpital pour avoir demandé à Nicky de bien vouloir éteindre un projecteur après une journée de tournage. Je suis acteur, pas esclave, aurait déclaré le célèbre impulsif.
Vous savoir à mon écoute me donne du courage pour affronter une entrevue qui sera sur le fil du rasoir. Chaque mot que je dirai devra être murement réfléchi, même si j’ai avec moi le direct et la caméra qui tempéreront l’ardeur d’un homme qui n’aime pas laisser de preuves. Je vous dis à tout à l’heure et coupe la discussion pour le moment. »- Bonjour Nicky, je me présente, Fabrice Lucas, journaliste pour Ouest France. Nous nous sommes …
- Vus hier. Oui, je suis au courant. Assieds-toi, j’ai pas la journée. Que me vaut la présence d’une petite frappe imberbe comme toi en ces lieux malfamés ?
- Je voudrais avoir votre avis sur le cas Pierre Corda. Vous savez, ce jeune mathématicien de…
- 19 ans. Ouais. Rien à cirer. Mystère zéro. Vous, les gratte-papiers, vous êtes pas très finos. Je vois pas où sont les zones d’ombre que tu cherches à mettre en lumière. Un gamin à qui on a toujours dit qu’il était le meilleur se prend pour une vedette au dessus des lois. Mais dans un casino, les lois, elles sont au dessus de toi. J’en sais quelque chose … Deux ans d’immersion pour le film de l’autre fillette, je pourrais passer une thèse en casinologie.
- Vous voulez parler de Mr Scorsese et de son film sur le milieu du jeu ?
- Toi, t’as rien compris. C’est pas un film sur le milieu du jeu. Le casino, c’est un prétexte. L’intérêt de son film, c’est ce trio que j’ai formé avec Ace et Ginger. Ah c’est sur, on s’est bien marré pendant le tournage. Même si Ace est un peu coincé, on s’est fait des soirées maquillage plutôt bien corsées. Si tu vois ce que je veux dire.
- Euh oui . Mais en quoi tout cela a un rapport avec Pierre Corda ?
- On s’en fout de Pierre Corda. T’es ici pour moi, je le sais, tu le sais. Alors n’y va pas par quatre chemins. Tout le monde veut tout savoir sur les coulisses de Casino. Pourquoi j’ai frité la fillette qui nous dirigeait, ce qui s’est réellement passé entre Ginger, Ace et moi. Pierre Corda.. Tout le monde sait ce qui s’est passé. T’as vraiment trop d’eau dans le crane si tu es ici pour ça.
- Je suis ici pour ça. Mon rôle est d’informer les gens et j’ai à cœur de faire mon travail. Mais il est vrai que je comptais faire d’une pierre deux coups. Casino m’a vraiment marqué, j’ai adoré le côté symphonique du film. L’ouverture est superbe (Saul Bass style), le ton est donné et on plonge avec délectation dans un univers où la méfiance est le mot d’ordre. Votre trio est magique, on a trois personnages qui sont complètement opposés mais hyper riches pris séparément. Peut être un peu moins en ce qui concerne Ginger, qui a finalement un rôle assez convenu et limite surfait par moment, mais alors, en ce qui concerne Ace et toi, je dois dire que c’est magistral. Ton personnage est vraiment énorme dans son rôle de petit nerveux qui ne fait pas de concession. La scène où tu pilonnes ce gars au bar avec un simple style te revêt un charisme à tout épreuve, que tu endosseras tout le film pour le perdre, à ta façon, dans cette scène finale assez triste finalement, où tu échanges ton statut de caïd contre l’une de tes victimes. Ace, lui, est plus froid, plus précis, ton anti-toi en quelque sorte. Calculateur, il prévoit tout ce qui peut l’être et se fait une place au soleil, si possible, sans faire trop de vagues d’un point de vue légal. Intelligent, il …
- Tu sous entends quoi là mec ? Que je suis idiot ? N’essaye pas de m’endormir avec ta flatterie toute tremblotante. On n’a pas le même coefficient de dureté, si tu vois ce que je veux dire.
- Je crois comprendre. Je vais tacher d’être clair alors, quitte à prendre des risques avec vous. Pour moi Ace, c’est tout ce que vous auriez voulu être, mais qui vous est inaccessible. Trop impulsif, trop épicurien il vous manque cette discipline qui fait que tout est si ordonné dans la vie d’Ace. Tout est huilé à la perfection, rien ne souffre d’à peu près, en témoigne cette scène qu’il fait à son pâtissier parce que son muffin n’est pas assez pourvu en myrtilles. Ace, c’est ce côté perfectionniste que vous n’avez pas et qui se traduirait chez vous par la violence qui résout tous vos problèmes. Vous êtes la violence de Casino, présent dans chaque scène qui nous rappelle brutalement les règles du jeu. Mais attention, Ace a aussi son talon d’Achille. Et c’est Ginger. Cette femme perdue, utilisée depuis son adolescence qui va attendrir le froid et imperturbable homme d’affaire. Ce dernier va être l’auto-victime d’un coup de foudre fatal, presque trop pour en être crédible. Ginger, elle, ne demande rien à personne et essaye de tirer son épingle du jeu. Son seul repère familial est un gros connard qui n’a pour lui que son bagou et sa capacité Raelienne à emprisonner les esprits. Ginger est prisonnière de cette manipulation mentale et se réfugie dans les breuvages alcoolisés pour passer le temps et faire chier Ace ! Ce dernier, aveuglément amoureux va mettre du temps à se résigner pour finalement la laisser aller finir sa vie, enfin riche mais toujours aussi misérable.
- Belle analyse. Mais on s’emmerderait presque. On croirait entendre Marty quand il me briefait sur mon jeu d’acteur. Tu te rends compte.
Mon JEU d’ACTEUR. MAIS PUTAIN.
JE SUIS NICKY SANTORO.
- Vous êtes quand même assez ingrat avec Martin Scorsese. Vous lui devez en partie le succès dont vous jouissez aujourd’hui. Cet homme est un virtuose de la caméra, et il a dépeint dans Casino un monde cruellement aseptisé à coup d’images hyper contrastées, quasiment tape à l’œil pour illustrer avec habilité ce monde d’artifice qu’est celui du jeu. On peut lui reprocher certes quelques choix scénaristiques et longueurs sur ce film de 3h, mais certainement pas ce côté virtuose qui fait son cinéma et donne tant d’impact aux scènes de violence dont il parsème un monde d’apparence où chaque vague doit être contrôlée jusqu’à l’écume qu’elle génère. Ses choix musicaux sont également vraiment intelligents et mettent en valeur cet opéra mafieux de la plus belle des façons. On ne peut que ressortir de la séance sous le charme, habité par les personnages qui nous ont livré leur vie, qu’on a vu vieillir et pour lesquels on compatit affectueusement, même s’ils sont horribles comme le votre.
- Compatir ?
- Euh. Oui … Le temps qui passe. La petite mèche blanche qui apparait, le côté bon mangeur qui ressort, avec cette scène cocasse où vous n'êtes même pas capable d’étendre un mec sur un parking et que vous vous affalez sur votre siège, éreinté après avoir donné quelques marrons qui n’endormiraient même pas un adolescent en manque de forfait téléphonique ! Hahaha. Je dois dire qu’à partir de cette scène, comme je le disais tout à l’heure, on assiste à la chute de votre charisme jusqu’à cette scène finale, où, hahaha, ils jettent votre frère, pantin désarticulé, et où ils vous déshabillent, hahaha, impuissant, haha, complètement ridicule..
BAM….
Viiiiiiiiuiiiiuiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii.
- Putain Nicky. On va encore avoir des emmerdes..
- Et merde. Un smith tout neuf qui déraille. Tu veux que j’te dise, Joe , les flingues sont plus ce qu’ils étaient. La fiabilité et la qualité de fabrication se perdent. J’ai juste voulu le poser sur la table et le coup est parti sans que je le touche. Vraiment triste pour ce pauvre garçon, il avait des trippes. Je pense qu'il faudrait appeler un doc.
…..
Ridicule ? Fini ? Impuissant ? Moi ? Nicky Santoro.
C’est ce que disait cette fiotte de mathématicien, elle aussi. Mais je sais toujours débiter la bidoche, et avec doigté.