Casino (Martin Scorsese, 1995) De tous les films de Scorsese, je pense que Casino est celui qui est le plus significatif de son oeuvre. Même si j'ai un chouïa plus de préférence pour Les Affranchis, Casino est le genre de film qui se regarde en boucle tant c'est ennivrant par son rythme, ses plans ses répliques, ses acteurs, ses musiques, son ambiance, ses références ... bref ... tout. On retrouve tout de Scorsese. Dés le début, le générique dépoussière Hitchcock car comme pour Goodfellas et Les Nerfs à vifs il réutilise dans son équipe au générique le même concepteur de générique comme il avait brillamment réutilisé Bernard Hermann dans Taxi Driver.
Dés les premiers plans, tous les éléments du thriller sont déjà installés. Conforté ensuite par une présentation magistrale de 25 minutes dans les coulisses du Tangers avec la voix-off entre Sam Ace Rothstein (parfait De Niro alias Frank Rosenthal) et Nicky Santoro (Joe Pesci qui crève l'écran alias Tony Spilotro dit "La fourmi"). L'ascension de ces mafiosos est présentée sur ses trois premiers quart d'heure de manière exaltante et flamboyante. Il clôturera le film de la même manière, sur l'integralité de la musique
House of the rising Sun. Une nouvelle fois il utilise une variété extraordinaire de musique (les Stones avec Gimmy Shelter et Can't You Hear Me Knockin' entre autre et bien d'autre musique) mais aussi des procédés de montages avec procédés d'une richesse absolue (fondus en zoom géniaux par exemple). Et la scène finale lors de la mort de Pesci et de son frère est d'une violence frigorifiante.
Scorsese paufine ses plans et sa mise en scène d'une précision absolument sidérante. Cette fois il a les moyens de la part d'Universal aprés son (plus grand) succés commercial avec Les Nerf à Vifs. Et ça se voit. Carte blanche. D'un sens du détail merveilleux, alternant le clip, le documentaire, le thriller, la biographie et même un peu la politique en plus des clins d'oeil cinématographiques nombreux et trés subtils. Et puis au point de vue technique c'est d'une fluidité absolue : Jamais un film n'a été si rythmé, si fluide et si musicalement mis en scène. Bien qu'oppressé par les studios pour le montage en point de vue du temps, Casino est un chef-d'oeuvre du montage.
Scorsese associe énormément de genre et se fait un film à l'image de tout son talent. Le fait qu'il soit un peu touche donne une richesse incroyable à Casino. Beaucoup de sa cinéphilie fait surface ici ; encore plus que dans Les Affranchis. Sa violence, son virtuose, sa noirceur, sa démarche instructive qui a de la classe avec des personnages extrêmement bien travaillés. Rares des films atteignent une interprétation si fine et si magnifique des acteurs. Joe Pesci est vraiment exceptionnel en nerveux de service. Un personnage incroyablement flippant (un peu moins que dans Les affranchis quand même) avec du charisme et de la classe, hyper violent et complètement fou. C'est vraiment le rôle de Joe Pesci car il monopolise vraiment le premier rôle. Ensuite De Niro qui bien evidemment est charismatique à souhait, et collabore pour la huitième fois avec le cinéaste. Scorsese explose littéralement les limites de ses interprètes. Comme pour tout ses films, Scorsese fait place à l'improvisation au lieu des dialogues. Mais son travail minutieux pousse les acteurs à se surpasser. Dans aucun des films du cinéaste un acteur n'est mauvais.
Confirmation avec Sharon Stone (alias Ginger) qui détient (c'est incontestable) le meilleur rôle de sa carrière. Si elle n'a pas reçu d'oscar avec la poisse habituelle du cinéaste à chaque cérémonie, elle est absolument incroyable dans ce rôle de pute névrosée qui pousse à la chute de Rothstein. Complètement métamorphosée et si vénéneuse que la seule envie que l'on a c'est de la gifler si ce n'est pas de la tuer. Le reste du casting est également prestigieux comme James Woods en Mac, Kevin Pollack, Dick Smothers, Don Rickles...
Du point de vue scénario et narration, c'est exactement le même travail que pour Les Affranchis. Scorsese reprend l'auteur du livre à ses côtés pour le scénario avec le même Nicholas Pileggi. Le travail de recherche fut également un sacré champs de bataille. Si Pileggi pour ses fameux livre avait interviewé tous les membres de la mafia en prison pour Goodfellas, il a fait de même pour le livre Casino et les films de Scorsese.
L'écriture de scénario fut un travail jour et nuit de plusieurs mois de rassembler un maximum d'information au téléphone, visite en prison, témoignage dans les casinos, les congrés politiques, les cabinets d'avocats ... toute l'Histoire fiscale des Casinos bref un travail extrêmement minutieux une nouvelle fois. Le film est construit un peu dans l'esprit des Affranchis. On commence in médias res, ensuite le générique, une voix-off qui nous introduit. On entre dans la fiction puis on a à nouveau le dénouement sur voix-off sur la fin. Et également on a le même point de vue. Dans Les Affranchis c'est beaucoup plus intimiste car on suit uniquement le parcours d'Henry Hill. Ici c'est une nouvelle fois le rêve américain mais à une échelle bien plus grande. Et une nouvelle fois Scorsese et Pileggi se fonde sur le quotidien et le détail en dehors d'une intrigue du polar classique. Il est ciblé sur les personnages. C'est un style qu'il faut aimer. Perso je trouve ça merveilleux. Une narration auquel l'intrigue se fonde sur du quotidien et du documentaire... c'est unique et propre à ces deux films de Scorsese.
Injustement considéré comme un pâle remake des Affranchis à sa sortie, Casino n'a pas convaincu les distributeurs et les producteurs lors des avants premières. Les mauvaises langues l'ont directement mis comme une reprise des Affranchis mais à Las Vegas. Grosse erreur. Casino est pour moi un développement des Affranchis. et du Temps de l'innocence qui sont trois films parallèles et uniques. Si Les Affranchis reste le chef-d'œuvre qu'il est pour moi c'est parce qu'il n'est en aucun cas déshonoré par Casino, et vice versa. Ces deux œuvres utilise des techniques de narrations (que je trouve de fabuleuse) similaires mais jamais il n'est question de se copier. Si Casino ne fut pas rentable pour Hollywood... il sera tout de même un des Scorsese des plus grands, des plus complets, des plus forts, des plus beaux et des mieux mis en scène.
Tout le talent de Scorsese est d'associer ses connaissances, innover, et donner un point de vue à la fois documentaire, spectaculaire et personnel. Pour ma part bien plus fort que Tarantino reconnu en tant que cinéphile talentueux, Scorsese offre une panoplie du cinéma fascinante. Si Tarantino, les frères Coen et Scorsese sont les plus grands metteurs en scène cinéphiles d'Hollywood, le plus ancien des quatre reste un chef de file incontestable. Tarantino a des fans bien précis, Les Coen aussi quoiqu'un peu moins ciblé et Scorsese le fait de s'ouvrir partout et surtout contrairement au réalisateur de Pulp Fiction et de ne pas être prétentieux me donne une préférence beaucoup plus grande à ce cinéaste. Que ce soit dialogues, mise en scène, musique...
Casino est un sacré monument dans l'œuvre du cinéaste et pour ma part dans mes films et ma conception du grand cinéma. Ce n'est pas du simple divertissement... c'est d'une profondeur incroyable. Une tension, un fil narratif fascinant ... je comprend que l'on ne puisse pas aimer la narration pour ceux qui aiment les intrigues bien ficelées. Comme tout il faut de tout pour tout le monde... pour moi ce film avec Les Affranchis reste du pur cinéma sans prétention et virtuose.
10/10