Témoignages
Il est 2h du matin, et je ne peux toujours pas dormir, après ce que j’ai vu et entendu aujourd’hui place Bellecour.
Je suis restée bloquée d’environ 13h30 à 17h30, et je ne suis sortie saine et sauve, et sans contrôle, uniquement parce que je suis une jeune femme blanche, sans dreads ni piercing...
J’ai vu un CRS faire le signe de décapitation en ricanant, à l’attention de mon ami. C’était après nous avoir dit qu’on pouvait sortir du côté de la Saône, en ajoutant « Merci qui ? ». Mon ami lui avait alors envoyé un baiser avec la main... Et voilà, comme ça, c’est beau : un représentant du pouvoir en place faire ce signe de mort en ricanant !
J’ai vu un type se faire prendre et tabasser lors d’une charge de CRS alors qu’il ne faisait rien, qu’il était juste là, à fuir, à tenter de se protéger, à être là, comme nous, sauf qu’il était un jeune homme d’origine maghrébine, évidemment.
Au fait, se faire charger quand on sait qu’il n’y a aucune issue, c’est une sacrée expérience ! On a véritablement essayé de se préparer psychologiquement à se faire matraquer. C’est dur (hohoho).
Je suis un étudiant en philosophie et je vis à Lyon. Aujourd’hui, jeudi 21 octobre, alors que je me dirigeais de l’hôtel de ville en direction de ma faculté, j’ai du emprunter la place Bellecour ; à savoir le chemin logique et normal.
En arrivant à l’entrée de la place Bellecour à 14H30, je vis de nombreux CRS présents tout autours de la place, néanmoins aucun réel barrage n’était en place et les forces de l’ordre ne m’ont absolument rien dit en me voyant arriver et se sont même séparées doucement pour me laisser passer. Je m’engage donc tranquillement sur la place. Cependant, à l’autre extrémité, je fais face à une ordre de CRS en position de blocage. Je décide de faire demi-tours, constatant que l’ensemble des sorties de la place sont bloquées de la même façon. Arrivant par là où j’étais entré sur la place, je constate qu’un barrage de CRS vient d’être mis en place. Ceux-ci me refusent le passage sous prétexte des ordres du préfet alors même que quelques minutes avant ils venaient de me faire pénétrer sur la place.
C’est alors que commence un détention avec plusieurs centaines de personnes sur la place, sans aucune raison.
Pire encore, durant cette détention, je découvre que certaines personnes sont enfermées depuis 13H15, donc les forces de police m’ont laissé rentrer en sachant parfaitement qu’il s’agissait d’un piège.
Pendant ma détention, sachez que toutes les personnes âgées, ou même non-jeunes pour être précis, ont pu partir sous prétexte qu’elles « habitaient la rue juste à côté ». Un véritable filtrage a opéré pendant cette période, afin que nous ne finissions qu’entre « jeunes », favorisant ainsi l’amalgame entre lycéens révoltés et casseurs. Les forces de police ont été brutales, insultantes, face à des personnes profondément calmes, cherchant juste à comprendre ce qu’il se passait. C’est finalement après 5 heures que je pu sortir par le « Check-Point » mis en place à l’une des sorties. Là, sachez que je fus victime d’un contrôle d’identité abusif, allant même jusqu’à prendre une photographie de mon visage. Je sortis à 19H30, sans aucune autre explication. Enfin, durant les 5 heures d’enfermement, seule une vingtaine de personnes ont osé se révolté, résultant d’une répression aux gaz lacrymogènes et tirs de jets d’eau à haute pression. Qui, enfermé pendant 5 heures sans raison, insulté et dégradé par des forces de police, ne deviendrait pas fou ? L’état cherche à engendrer une haine chez les jeunes en les enfermant volontairement et en les poussant à bout. Ainsi, les dirigeants pourrons, preuves à l’appui, discréditer au yeux de son peuple soumis et crédule l’engagement des jeunes dans cette réforme.
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Plus tôt, après une charge, des coups de feu (lacrymo ? flashball ?), je me retourne et je vois une fille à terre, inconsciente, de l’écume aux lèvres, derrière un kiosque à l’est de la place. Que doit-on faire ? Est-elle simplement évanouie ? A-t-elle reçu quelque chose dans la tête ? A-t-elle une crise quelconque ? A-t-elle besoin de secours d’urgence ?
Je cours vers un mur de CRS, en hurlant, hystérique, d’appeler le SAMU (« IL Y A UNE FILLE A TERRE INCONSCIENTE ET C’EST A CAUSE DE VOUS ! » je hurle de toutes mes forces), JE VOIS ALORS UN CRS SOURIRE !!!
Avec mon ami, on a discuté avec beaucoup de ces « casseurs des cités » : tous étaient froidement conscients de la situation politique, et SURTOUT DU RACISME OMNIPRÉSENT. Les blancs eux, s’en sortiront, PAS EUX, ni aujourd’hui, ni demain, ni dans la vie ! On a discuté avec des jeunes qui correspondaient parfaitement aux clichés relayés par les médias : jeunes d’origine africaine à foulard, baskets, capuche... On a brièvement discuté de la réforme (“et on ne va pas travailler jusqu’à 70 ans !” me dit un jeune avec un petit sourire au lèvres : il le sait, il est surtout là pour se battre contre une société raciste et pourrie, dont la réforme est un élément qui finalement ne le concerne que de loin), on a appris que certains lycéens se battaient également contre la suppression des BEP, on a parlé du racisme, de la propagande... Tous semblaient résignés ; il n’y avait AUCUNE VIOLENCE.
Après l’ultime charge, le piège tendu contre nous vers 17h20, des tirs, on se plaque contre une vitrine avec d’autres jeunes, puis on se réfugie, mon ami et moi, paniqués, dans la première cour intérieure, pour se protéger des tirs (là encore, pas eu le temps de voir, ou de sentir ce que les représentants de l’État français tiraient). Il y a là, dans l’escalier de cet immeuble, un jeune d’origine maghrébine, un lycéen tout gentil, un peu enrobé, à la voix douce, bref tout sauf quelqu’un de menaçant et d’effrayant, qui s’est retrouvé bloqué vers 11h place Bellecour alors qu’il ne faisait que passer. Il nous a raconté, sans hausser la voix, comme si c’était là quelque chose de banal, qu’un CRS, en le bloquant, lui a dit d’un air méprisant qu’il l’avait reconnu, lui, un « casseur » de ce matin 9h. Le garçon nous a alors dit : « à 9h, je faisais une interro ! ». « Ils m’ont dit que les Blancs passaient mais pas les autres ». Je lui ai alors fait répéter la chose, ne pouvant en croire mes oreilles. Oui, oui, le CRS lui a dit ça comme ça. Oui, oui. D’autres jeunes stigmatisés depuis leur plus jeune âge par les flics nous ont adressé plus tôt la parole, d’un air résigné : « eh pourquoi vous partez pas vous ? Vous êtes blancs, essayez, ils vous laisseront passer, vous... ». Nous n’avons pas essayé. Trop fiers pour tenter de partir, trop effrayés pour faire face à une charge de CRS. Dans cette cour, trois filles sont ensuite venues non pas se réfugier, mais faire pipi. Elles sont ensuite ressorties ; nous n’avons pas osé.
Finalement, pas de contrôle d’identité pour nous : « coup de chance » : dans la cour où nous nous sommes « réfugiés » (on attendait les flics, prêts à mettre les mains sur la tête), on voit arriver des jeunes de droite à mèche ! Surréaliste ! Les cheveux de droite se reconnaissent de loin ; enfants de bourgeois habitant place Bellecour, et leurs copains riches de droite. Une discussion suit en bas des escaliers avec deux d’entre eux, pendant que des jeunes pauvres se font matraquer sur la place : non, tous les gens qui ont voté Sarko ne sont pas pour ça, nous dit l’un des jeunes à la coupe Sarko fils pré-tonte ; ça....
Mon ami s’énerve, lui dit que si, que si on a voté Sarko, on a voté pour le racisme, pour l’État policier, pour l’ORDRE, pour ça, CA... Les gens savaient, ils savaient pour quoi ils votaient : pour ça !
Le jeune d’origine maghrébine lui se tait, c’est juste un gamin qui veut rentrer chez lui. Ces deux jeunes de droite avaient l’air si sympathiques, si innocents, et pourtant c’est eux aussi la France qui pue.
Au final, c’est « grâce » à un groupe de blancs riches que nous sommes sortis sans contrôle, la rage et la peur au ventre. Un flic à blouson en cuir et brassard entre dans la cour, nous dit de sortir, qu’on peut partir maintenant. On ne le croit pas ; je lui dis :« et tout à l’heure ? Vous nous avez dit qu’on pouvait partir ! ». Il m’ignore, et va parler aux riches. Le gamin se dirige vers la porte, on le retient en lui disant d’attendre pour sortir avec les blancs. Il refuse. On insiste, on le met en garde, mais il a son honneur, lui. Il garde la tête haute, et s’en va.
Puis nous sortons, nous, effrayés, avec ces gens, un bon Français aux cheveux gris et à lunettes, une dame à talons, et des autres Blancs. Nous passons devant les autres jeunes restés sur la place, qui sont maintenant contrôlés par les flics, un à un, vers le pont Bonaparte. Je n’ai pas pu retenir mes larmes en criant aux badauds, une fois le barrage de flics passé sans encombres, sans même un arrêt : « Nous sommes passés parce que nous sommes blancs ! Elle est belle la France, hein ?! »
Plus tard dans les rues touristiques du 5ème, je vois une télévision dans un bouchon. Je m’avance, une commerçante me dit bonsoir, pensant que je suis une cliente. Je ne fais pas attention, je tente d’apercevoir des images de ce que je viens de vivre. La bonne Arbeiter me redit bonsoir, cette fois fermement, comme si je lui avais manqué de respect, comme à une gamine. Je la regarde dans les yeux et lui répond « Bonsoir. ». Je me retourne vers l’écran. J’entends la femme me lancer :« ah, la télé » comme si j’étais une mouche attirée par la lumière. Je réponds : « oui, je veux voir la propagande ». « La propagande ? » me lance-t-elle, d’un air à la fois moqueur et choquée. J’ai alors eu envie, pendant une fraction de seconde, de lui défoncer la gueule. Mon fiancé m’a prise et m’a enlevée de là, et je ne suis même pas arrivée à prononcer un mot intelligible. Nous sommes partis.
QUE DOIVENT RESSENTIR CES JEUNES CONSTAMMENT STIGMATISÉS SI MOI-MÊME JE PEUX RESSENTIR UNE TELLE HAINE APRÈS UNE APRÈS-MIDI ????!!!! RÉSISTANCE FACE A LA FRANCE QUI PUE !