Précison importante pour ceux qui n'auraient pas vu le film en question : de nombreux spoilers sont lisibles dans cette critique.
Premier film de David Fincher après l'expérience
Alien 3,
Se7en aurait pu être un simple bon thriller avec un scénario original. C'était sans compter sur le travail du cinéaste qui signe là un deuxième film majeur à la fois pour sa filmographie mais aussi pour le cinéma en général. Explications.
Tout d'abord,
Se7en est clairement le genre de film que l'on ne voit que très rarement depuis une vingtaine d'année : un film qui a tout pour rebuter les studios, qui a tout pour rebuter le grand public et qui pourtant arrive à sortir dans les salles avec une exploitation digne de ce nom tout en rencontrant un succès à la fois critique et public. Il est étonnant, après une énième vision ces derniers jours, de se demander encore une fois comment les producteurs ont-ils pu accepter de sortir un tel film. Toujours aussi choquant, poignant et surtout marquant, l'effet que produisait
Se7en à sa sortie est toujours intacte. Et ce, grâce au talent de Fincher pour démarquer son film le plus possible. Car parler de
Se7en, c'est parler d'un secret : celui de l'identité du tueur et surtout celui du rebondissement ultime (le meilleur en son genre par ailleurs). Un secret extrêmement bien gardé dans le film lui-même puisque le nom de Kevin Spacey n'apparaît pas une seule fois dans le générique d'introduction (superbe générique par ailleurs, glauque et efficace à souhait). Ainsi, Fincher conserve un suspense dans et autour de son film, comprenant que le principal intérêt de
Se7en est bien là.
Mais parler de
Se7en comme un simple film de serial-killer au twist final bien mené serait une monumentale erreur. Car le film de Fincher est aussi une fresque mélancolique sur l'être humain en milieu urbain où trois points de vues différents sont proposés : celui de Mills, jeune flic ayant toute la vie devant lui, tentant de fonder une famille tout en ayant une foi certaine en l'humanité. Celui de Sommerset, détective réduit à l'état de fantôme errant dans la déshumanisation la plus totale dans un San Francisco infernal (bien que le nom de la ville ne soit jamais citée, le lieu de l'action pouvant être dans n'importe quelle grande ville américaine). Enfin, celui de John Doe qui, comme son nom l'indique, est le citoyen américain moyen, cachant derrière ses apparences un esprit prêcheur à la fois possédé par une folie sans nom ainsi que par une vision froide mais juste du monde qui l'entoure. Les nombreux dialogues, où l'on cite Dante, Milton ou encore le Marquis de Sade, sont alors loin d'être de simples paroles en l'air pour faire avancer l'enquête et le film : ce sont les paroles qui décident, d'une certaine manière, de comment le récit, mais aussi l'histoire de l'humanité, doit finir. Le tout ponctué au final par une phrase qui permet de résumer totalement le film : un combat long, difficile et obligatoire dont les enjeux n'en valent pas forcément la peine.
Pour un second long-métrage, Fincher étonne en présentant là un travail de réalisation tout simplement exceptionnel. C'est bien simple : la mise en scène de
Se7en est la perfection faite film. Rien de superflu et le tout passe à merveille. Mélangeant habilement son expérience du clip (on retrouve d'ailleurs avec bonheur les contrastes obtenus avec Paula Abdul ou encore les sublimes travellings du clip de Michael Jackson
Who Is It) ainsi que ses références (on pense notamment à Kubrick ou encore à Welles), Fincher se crée son style propre, des plans esthétiquement travaillés et marquants (la poursuite sous la pluie, l'entrée dans l'appartement de Victor, la scène d'interrogatoire, la découverte du visage du tueur, etc...). Sans aucun doute, on est face à du travail digne d'un grand cinéaste. Les bonnes idées fusent dans tout les sens : meurtres jamais véritablement montrés, souvent détaillés oralement, introduction surprise du tueur dévoilée près d'une demi-heure plus tard, ambiance apocalyptique (la pluie évoquant le déluge biblique), scène finale qui monte en crescendo sur près de vingt minutes, nombreux jeux de hors-champ, etc... Mais le talent de réalisateur de Fincher se fait sentir notamment sur un autre point : celui de la direction d'acteur. Il est rare de voir un casting entier jouer sans aucunes fausses notes. On pense forcément à Brad Pitt, qui n'a jamais été aussi bon, à Kevin Spacey, qui se fait en quelques minutes une place dans le panthéon des plus grands bad guys cinématographiques, mais aussi à Morgan Freeman, grandiose, ou encore Gwyneth Paltrow, réellement touchante.
Pour un second long-métrage, David Fincher a levé la barre très très haut, livrant là ce qui restera surement comme son chef-d'œuvre. Se7en est un film beau et puissant, autant sur la forme que dans le fond. Un portrait sans concession sur la condition humaine à l'aube du 21ème siècle, un film testament en quelque sorte sur un siècle qui aura dirigé l'humanité vers une fin qu'elle n'est même pas capable de deviner. Masterpiece.