LE VILLAGE
M. Night Shyamalan - 2004
8,5/10
M. Night Shyamalan - 2004
8,5/10
Je me souviens avoir découvert ce film dans de mauvaises conditions : j'étais allé voir le film au ciné avec des amis qui ont rigolé pendant tout le film car ils trouvaient ça nul ... Heureusement, ça ne m'a pas empêché d'apprécier le film à sa juste valeur et c'est pour moi le meilleur de Shyamalan juste après Incassable.
Le village est, comme son nom l'indique, un film qui suit la vie d'une petite communauté qui vit isolée du monde dans une clairière au cœur de la forêt. Mais une légende se perpétue au sujet de monstres qui peuplent la forêt. Ils ont passé un pacte avec eux : ils n'ont pas le droit d'entrer sur leur territoire en échange de quoi ceux-ci les laissent vivre en paix. Alors que tout semble se passer pour le mieux, des menaces commencent à se faire ressentir ... Quelqu'un aurait-il briser le pacte ?
Dans un premier temps, le réalisateur nous livre une sorte de conte médiéval basé sur des croyances ancestrales. A aucun moment, il ne nous précise à quelle époque se déroule son histoire et on a tendance à croire que ça se passe à une époque lointaine. En tout cas, tout est là pour nous y faire croire. Le style de vie de cette communauté est très rudimentaire. Comme à son habitude, il met progressivement en place un univers angoissant dont il a le secret. Et à la manière de Sixième sens, il finit sur un twist qui donne une toute autre dimension au film.
En effet, une fois le twist final révélé, on comprend que cette histoire est une métaphore sur l'Amérique post 11 septembre. Tout comme le gouvernement américain a créé une menace extérieure de toute pièce après les attentats afin de faire peur au peuple et de l'unir face à un ennemi concret, les dirigeants de ce village ont créé cette légende et l'ont alimentée de façon à faire peur à leurs concitoyens et à garder le contrôle sur eux. Sous ses airs de conte médiéval, le film est donc on ne peut plus d'actualité et traite du contrôle par la peur. Certains trouveront le traitement trop manichéen. Pour ma part, j'ai trouvé que c'était particulièrement bien amené et chaque scène est justifiée dans cette grande manipulation. La fin reste quand même assez dramatique puisqu'ils arrivent à garder leur secret et à poursuivre leur duperie comme si de rien n'était se servant même de la mort de l'un des leurs comme dommage collatéral ...
Au-delà de cette métaphore, le réalisateur garde ses thèmes de prédilection. Il continue à aborder les relations familiales conflictuelles avec ce choc des générations entre le chef du village Edward Walker et sa fille Ivy qui a tendance à faire un peu de zèle. On peut également voir l'ensemble de cette communauté comme une grande famille et ses conflits multiples pour déterminer quelle marche suivre. Et puis, il y a toujours le thème du deuil qu'on trouvait déjà dans Signes. En effet, toute cette histoire a commencé à cause de la mort de la femme d'Edward qui l'a poussé à s'isoler du monde afin d'échapper à sa violence.
Enfin, Shyamalan aborde un nouveau thème encore inédit dans ses films : l'amour. La relation amoureuse entre Ivy et Lucius est l'élément central du film et on peut dire que pour un coup d'essai, le réalisateur s'en sort vraiment bien. Alors que ce village a réussi à trouver un équilibre dans un cadre de paix, c'est cette histoire d'amour qui va être à l'origine de jalousie et du retour brutal de la violence. Les convictions du chef de village vont alors être ébranlées : la violence est dans la nature de l'homme et ça n'est pas en l'isolant du monde que ça le changera. De plus, l'amour entre Ivy et Lucius semble plus fort que tout, ce qui va pousser Edward à enfreindre les règles de la communauté en laissant sa fille s'aventurer dans la forêt pour aller chercher des médicaments.
Côté mise en scène, Shyamalan continue à jouer sur l'imagination du spectateur comme il l'avait fait sur Signes. Il utilise toujours autant la technique du hors-champs pour créer une ambiance angoissante sans jamais rien montrer. Son utilisation des travellings est également fort esthétique. Pour ce film, il s'est attaché les services du directeur de la photographie attitré des frères Coen, Roger Deakins. Et une fois de plus, c'est un excellent choix puisque celui-ci arrive parfaitement à mettre en valeur cet aspect volontairement "médiéval". Quant à la BO, c'est certainement l'une de mes préférées. James Newton Howard s'en sort toujours aussi magistralement et surtout sur les passages à consonance dramatique.
Pour ce qui est de l'interprétation, le duo principal est vraiment parfait. Joaquin Phoenix, tout en retenue, joue le mec réservé et peu sûr de lui mais il dégage quelque chose par sa simple présence physique. Quant à Bryce Dallas Howard, j'en suis vraiment fan ! Dans ce rôle de jeune femme aveugle, elle rayonne de bonté et on lui donnerait le bon dieu sans confession. Il est intéressant de voir la complémentarité entre les 2 personnages : Ivy est aveugle mais compense en parlant beaucoup alors que Lucius est avare en parole mais il a des regards qui en disent long ... pas étonnant qu'ils aient autant de mal à se déclarer leur amour. A leur côté, Adrien Brody joue l'attardé de façon plutôt crédible. On a l'impression que son personnage reste quand même juste un élément déclencheur et qu'il n'est pas trop approfondi. Enfin, les adultes s'en sortent tous bien. Il faut dire qu'il y a du beau monde : William Hurt, Sigourney Weaver, Brendan Gleeson. Mais eux aussi auraient mérité d'être un peu plus développés.
Au final, Shyamalan nous livre l'un des meilleurs films sur l'Amérique post 11 septembre. Loin des clichés sur les traumatismes du terrorisme, il préfère s'orienter vers une belle métaphore qui nous fera longuement réfléchir. Et quand j'entends dire par la même personne qui se moquait de ce film que le meilleur film post 11 septembre est Cloverfield, ça me fait doucement rigoler !