Requiem for a Dream de Darren Aronofsky Estampillé culte quasiment dès sa présentation au festival de Cannes en 2000, et alors que le nouveau film du réalisateur, Black Swan, s’apprête à mettre tout le monde d'accord dans quelques semaines, c’est l’occasion de revenir sur le phénomène Requiem for a Dream, quelques années après le choc de la découverte. Car oui il faut l’avouer, Requiem for a Dream est un choc de cinéma, une expérience brutale et douloureuse, telle que l’était la lecture de Retour à Brooklyn, le roman d’Hubert Selby Jr. lui servant de base scénaristique. Mais un électrochoc fait-il un film culte pour autant? Après quelques courts métrages dont Protozoa avec Lucy Liu qui abordait déjà le thème de la drogue, Darren Aronofsky avait bénéficié d’un sérieux succès d’estime auprès des cinéphiles grâce à Pi, sorte de thriller paranoïaque dans un noir et blanc cradingue et sous forte influence du David Lynch des débuts. En acceptant d’adapter ce roman d’une noirceur extrême il marque une étape dans sa quête identitaire en tant qu’artiste, recherche qui n’a semble-t-il toujours pas abouti tant ses films, aussi réussis soient-ils, ne semblent pas s’inscrire dans une oeuvre véritablement homogène. Il n’empêche que pour un réalisateur sans véritable signature, ce qui ne signifie pas que ses films sont fades, il possède un style et une maitrise de la mise en scène qui ne peuvent que mettre tout le monde d’accord. Cependant, avec Requiem for a Dream il atteint une limite. Faire vivre une expérience viscérale au spectateur est une chose intéressante et difficile à atteindre, produire un choc émotionnel également, mais à trop vouloir en faire dans le choc instantané, Aronofsky en oublie que ce sont les chocs naissant d’une certaine forme de sobriété qui fonctionnent le mieux, car ils durent longtemps après le générique de fin, contrairement à celui-ci qui est bien trop artificiel pour durer.
La drogue, vaste sujet avant tout social qui n’a rien de véritablement original dans le cinéma américain. On a tous en mémoire des oeuvres coups de poings ou bouleversantes telles que Bad Lieutenant ou Panique à Needle Park, que peut bien apporter un jeune réalisateur doté d’un talent complètement dingue mais qui se cherche encore? Et ce n’est pas vraiment dans la trame narrative qu’on trouvera une réponse. En effet, Requiem for a Dream ne brille pas particulièrement par un scénario extrêmement original. Cela ne l’empêche pas d’être efficace mais simplement peu inventif de ce côté là. On y suit quatre personnages dans autant d’intrigues qui s’entremêlent en permanence, quatre caractères issus de la classe moyenne de Brooklyn, quatre êtres qu’on aura beaucoup de mal à aimer mais qu’on prendra directement en pitié étant donné qu’ils ne nous sont jamais montrés autrement qu’au fond du trou, en dérive perpétuelle. Ainsi le scénario ne réserve que peu de surprises, on sait d’entrée de jeu qu’ils ne se relèveront pas et ne feront que sombrer dans une déchéance de plus en plus dangereuse.
L’intérêt principal au niveau du message est que Requiem for a Dream ne se cantonne pas à la seule dépendance des drogues dures. Le film brasse à peu près toutes les formes d’addiction possible, de la plus contrôlable à la plus destructrice. Les consommations d’héroïne, de cocaïne ou de marijuana nous sont montrées de façon relativement crues et à côté d’elles, au fur et à mesure qu’avance le film, cela traite de drogues plus perverses telles que le régime, la télévision ou le sexe, avec comme point d’orgue terrible la dépendance aux médicaments, ou comment un élément sensé reconstruire une personne et l’aider devient son pire ennemi. Tous ces portraits héritent d’un traitement des plus noirs et pessimistes, sans que jamais ne se crée un espoir de sortie. Construit selon le rythme des saisons – symbolique un peu facile – Requiem for a Dream suit la trame connue « déchéance, illusion de rédemption, rechute, fin » et souffre assez d’un ton finalement trop glauque. En oubliant complètement l’aspect ludique de ces drogues, dures ou pas, l’ensemble s’en trouve finalement bien trop moralisateur. On ne souhaitait pas y trouver une quelconque forme d’apologie mais un film comme Trainspotting par exemple traitait le sujet de façon plus délicate et voyait son impact décuplé.
Si sur le fond il n’y a rien de bien nouveau en plus de manquer de justesse parfois dans cet engagement, il convient de souligner que Requiem for a Dream puise tout de même une force gigantesque de par son côté formel. Là encore Aronofsky n’invente pas grand chose mais recycle à la perfection. Sa mise en scène et le montage de Jay Rabinowitz qui fait un grand écart hallucinant par rapport à ses habitudes chez Jim Jarmusch apportent au film une puissance visuelle démente et en accord parfait avec la partition diaboliquement entêtante de Clint Mansell. Symbiose totale entre l’image et le son, Requiem for a Dream dévoile une palette d’effets de style en frôlant l’overdose, ce qui est finalement assez logique étant donné le sujet. C’est un festival d’astuces visuelles reprises des clips musicaux et publicités les plus imaginatives des années 90, cela se traduit à l’image par des mouvements de caméra et des cadres dingues, du ralenti, de l’accéléré, du grand angle qui vire au fisheye, de longs travellings complexes, du split screen et une répétition de scènes montées ultra cut pour souligner la routine maladive. L’effet sur le spectateur est immédiat, souligné par la musique, et le malaise est permanent, tout comme le dégout. Mais ce trop plein d’effets finit par nuire au film qui y puise toute sa force et n’apparait au final que comme un objet expérimental fascinant plus qu’un film possédant un véritable impact durable.
Reste que Requiem for a Dream bénéficie également d’un casting dément. Le trio composé de Jared Leto, Jennifer Connelly et Marlon Wayans fonctionne à la perfection, mais tous trois se font voler la vedette par la rescapée des 70′s Ellen Burstyn qui trouve là un rôle immense. Pathétique, effrayante, bouleversante, elle cristallise toutes les névroses d’une junkie et livre une prestation tout simplement bluffante d’intensité. Non seulement elle fait partie des rares actrices à ne pas avoir volé leur oscar mais son interprétation continue d’éblouir aujourd’hui encore.
7/10