Collateral, de Michael Mann : 6.5/10
La ville est une entité étrange parsemée de paradoxes. A la fois symbole de puissance et de rencontres humaines, notamment par sa densité démographique exponentielle, elle apparait néanmoins comme une toile parfois irrationnelle et souvent ombragée d’individus errant dans un anonymat permanent. C’est dans ce contexte que débarque Collateral, dirigé par le célèbre Michael Mann et emmené par un duo d’acteurs plutôt réjouissant : Jamie Foxx, dans le rôle d’un chauffeur de taxi humaniste, et Tom Cruise, incarnant un tueur froid sans émotions palpables. Ces deux personnages, à l’essence forte et caractérielle, passeront à Los Angeles une nuit qui restera à jamais marquée dans leur mémoire.
Une question de hasardLe film commence par le départ de la traditionnelle tournée nocturne de Max (Jamie Foxx), simple chauffeur de taxi coupé du monde et de ses interférences. Agrémentée par la rencontre sentimentale d’Annie (Jada Pinkett), sa soirée va très rapidement prendre une tournure beaucoup plus morbide avec l’arrivée de Vincent (Tom Cruise). Cette rencontre, assez hasardeuse et qui aurait pu ne jamais arriver, marquera le début d’une longue descente aux enfers où meurtres, fusillades et poursuites policières formeront les activités principales des deux acolytes.
L’ascenseur psychologique est mis en place dès les premières minutes du film à travers la démonstration mouvementée du quotidien de Max, citoyen fondu dans la ville démesurée qu’est Los Angeles. Mouvementée, dans le sens où sa solitude, son errance et son utopie (il souhaite créer une agence de « taxis limousines » dans les Antilles) sont brutalement confrontées à la réalité beaucoup moins réjouissante de l’urbanisme froid et impersonnel du monde cimenté. Son départ du dépôt est ainsi révélateur de l’isolement paradoxal du personnage : les portes du taxi claquent violemment faisant taire les nuisances sonores extérieures pour laisser place à la diversité musicale du monde radiophonique. Cette présentation introductive permet un attachement certain du spectateur envers Max, sympathique chauffeur à la causerie facile et au tempérament optimiste. La rencontre d’Annie, célèbre procureur de la ville, ne fera qu’accentuer ce sentiment et apparaitra fatalement comme la dernière lueur enthousiaste du scénario.
L’arrivée de Vincent, à l’apparence froide et dure, marque alors l’élément perturbateur du récit et, par conséquent, l’élément perturbateur de la vie de Max. Car toute l’uniformité du début du film laissera place à un ton nettement plus noir et dramatique. Le schéma narratif va alors reposer sur une succession de hasard et de destins croisés : le hasard du premier meurtre, qui laissera une trace indélébile sur le véhicule de Max, le hasard d’une intervention policière inaboutie, ou encore le hasard de la rencontre inconsciente entre les fugitifs et l’inspecteur en charge de les retrouver. Ce déroulement sera malheureusement souvent taché de maladresses : parfois simplistes, souvent illogiques, les évènements se succèdent toujours sans grande crédibilité et surtout en décalage total avec le ton réaliste du récit. Plutôt étrange, car Michael Mann nous avait habitué à nettement plus de finesse dans le traitement de ses œuvres. Il en reste néanmoins un rythme particulièrement efficace, notamment grâce à un équilibre parfait entres scènes d’action et scènes de dialogues, et certains passages apparaissent exquis et remarquablement exaltants dans leurs constructions, comme la fameuse scène de la boite de nuit désormais célèbre.
En réalité, Collateral est à l’image de son twist final : parsemé de détours et d’embuscades, le film court sans cesse à la recherche de son train directeur. Coincé entre une morale peu bavarde, car peu construite (le sens de la vie et de ses multiples chemins, métaphores d’une ville aux grands axes et aux petites routes), un propos heurtant (la déshumanisation) et un traitement qui se veut agiter (scènes d’action suggérées et simplistes), le film rate sans cesse sa cible idéologique mais réussi cependant à tenir en haleine son spectateur. Et c’est le moins que l’on puisse demander à un divertissement.
Une image sublimePour filmer la ville et son incroyable architecture, Michael Mann n’a pas lésiné sur ses efforts. En utilisant pour la première fois la haute définition, le réalisateur parvient à créer une incroyable ambiance onirique, enivrante. Les lumières, véritables épicentre d’un urbanisme verticalement infini, sont utilisées non pas comme un simple outil d’immersion mais comme un véritable artifice visuel. Rapidement, les tons surnaturels des éclairages perturbent le spectateur et soulignent le coté extravagant du film, qui ne se déroulera que de nuit. Une ambiance qui rappelle aisément celle de Eyes wide shut de Stanley Kubrick ; la présence de Tom Cruise aidant, bien entendu. Ainsi, ce choix stylistique fera de Collateral un film à la réalisation virtuose sans aucunes contestations possibles et qui a surement grandement influé Enter the void de Gaspard Noé, certaines séquences étant même plagiées (des images à la musique).
L’envoutement aurait été total si les musiques n’étaient pas appelées maladroitement. Peu harmonieuses et devenant gênantes, ces dernières surprennent sans cesse par leur médiocrité et surtout par leur calquage raté.
Bien sûr, Michael Mann parvient, comme à son habitude, à sublimer ses acteurs. Jamie Foxx est extraordinaire et Tom Cruise, à l’image de son rôle, est transcendant. Des prestations assurément de grande classe et qui soulignent tout le perfectionnisme du réalisateur.
Collateral laisse une impression étrange. Prodigieux dans sa mise en scène, le film de Michael Mann pèche indéniablement dans son déroulement hasardeux et très souvent illogique. Entre une morale périlleuse et un scénario simple mais terriblement efficace, Collateral est un excellent divertissement mais assurément inachevé.