Edward aux mains d'argent, de Tim Burton : 10/10
Tim Burton apparaitra toujours, et sans réelles objections possibles, comme un génie créatif. Doté d’une filmographie conséquente (près de quinze longs métrages en une vingtaine d’année), le réalisateur américain fait partie de ces cinéastes rapidement propulsés sur le toit du monde, notamment grâce à des débuts cinématographiques exceptionnels. Après un Bettlejuice et un Batman devenus cultes, le natif de Burbank parviendra définitivement à s’inscrire dans le panthéon cinématographique contemporain avec Edward aux mains d’argent, véritable chef d’œuvre burtonien qui annonça toute l’œuvre de son réalisateur et qui confirma tout le talent d’un certain Johnny Depp.
La peur de l’inconnuNé de l’imagination d’un créateur désormais décédé, Edward ne sera jamais une personne ordinaire. Doté de ciseaux à la place des mains, ce dernier vit dans une solitude qui n’a que d’égal son amour envers la nature. Réfugié dans un château à l’écart de la société, il recevra la visite de Peg Boggs, une vendeuse de produits cosmétiques au grand cœur qui osera accepter sa différence et l’accueillir chez elle.
Comme souvent avec les films du réalisateur, Edward aux mains d’argent est avant tout un film doté d’une ambiance exceptionnelle, vacillant entre lyrisme et onirisme. Le récit, digne d’un conte de Charles Perrault, est ainsi constamment agrémenté d’éléments fantastiques se confrontant à la dure réalité de la vie quotidienne. Une dualité qui caractérise toujours Tim Buton. Ainsi, le ton sombre et gothique d’Edward, notamment dans son apparence mais aussi dans ses manières, rompt clairement avec le monde coloré et cubique qu’il va découvrir. Cette segmentation visuelle apparaitra alors comme le symbole le plus marquant de cette différence rejetée mais imposée par l’essence surnaturelle du malheureux Edward et les ciseaux, terriblement injustes, ne seront finalement qu’accessoires. Accessoires de conquêtes sociales (ses capacités attireront tout le voisinage) mais terribles accessoires de morbidité : le toucher, sens souvent le plus sensuel, est ainsi vécu comme un calvaire à la dangerosité extrême et son impossible accessibilité fera d’Edward un être forcément différent, mais surtout particulièrement attachant.
En jouant sur les clichés et les stigmatisations sexuelles (la femme est commère et l’homme représente force et violence), Tim Burton parvient à faire de son film une véritable ode à la tolérance. Edward sera, durant tout le film, confronté à sa différence et à sa relative naïveté mais celle-ci sera finalement sublimée par le coté empathique du film. Un personnage qui n’est pas sans rappeler celui d’Elephant Man. Mais à la différence de David Lynch, Tim Burton choisit de présenter son récit avec un optimisme souvent réjouissant. Car malgré le lynchage moral et parfois physique que subira Edward, celui-ci connaitra néanmoins des joies amoureuses et sentimentales souvent poétiques et qui souligneront l’humanité immaculée du personnage. L’acceptation et l’accueil de Peg Boggs, qui osera accepter l’inconnu dans un monde ostentatoire, est d’une beauté rare et sublime. Mais l’apogée sentimentale du récit se trouve dans l’incroyable et surprenante attirance d’Edward envers Kim, la fille de Peg. Ces deux êtres, que tout sépare, parviendront à s’unir face à l’intolérance et au rejet de la société. A l’aide de scènes réjouissantes et cinématographiquement magnifiques (notamment celle où Edward taille de la glace), leur union apparaitra finalement comme logique et existentielle. Car le contact n’est que l’appréciation des différences.
Des qualités cinématographiques évidentesCe qui frappe aussi avec la grande majorité des films du talentueux réalisateur, ce sont leur sublime enveloppe, en parfaite harmonie avec le message du récit. Car au-delà d’un fond travaillé et d’un traitement soigné, la mise en scène des ces contes burtoniens est toujours un régal visuel et sonore de tous les instants.
Dès les premières minutes, la caméra de Tim Burton fait des merveilles. Travelling géniaux, couleurs resplendissantes et plans incessamment minutieux participent à faire de ce voyage une extraordinaire évasion spatiale et temporelle. Comme dit précédemment, l’ambiance de ce conte contemporain est tout simplement merveilleuse. Les décors, ambitieux et révélateurs d’une société superficielle, sont d’une justesse incroyable et font de l’univers d’Edward aux mains d’argent un univers unique et atypique. Tout ce qui le construit est en effet doté d’un second degré malicieux et onirique : les voitures semblent sorties d’un dessin animé et les maisons, colorées et plastifiées, paraissent irréelles et issues d’un rêve d'enfants psychédéliques.
La fusion est ainsi parfaitement abordée entre le monde froid d’Edward et celui coloré de la ville. Mais cette ambiance repose aussi sur une bande originale qui frôle les cimes de la perfection. Joviales, lyriques et parfois mélancoliques, les musiques de Danny Elfman (le compositeur) parviennent à parfaitement recomposer les sentiments imagés du film, à savoir l’amour, la détresse et la haine.
Mais ce qui fait aussi le succès indéniable d’Edward aux mains d’argent est aussi la justesse de ses acteurs, naturels et sincères au possible. Johnny Depp, sur qui repose l’intégralité du pathétisme, est d’une redoutable efficacité. Émouvant, sensuel, naïf et troublant, le personnage était d’une complexité évidente à interpréter. Mais l’acteur parvient à surpasser son personnage pour en proposer une version à l’exactitude insolente et à la détresse peinte sur un visage froid et sans avenir. Un sans faute.
Edward aux mains d’argent est un véritable chef d’œuvre intemporel. A la fois réussi sur sa forme comme sur son fond, le film de Tim Burton apparaît comme une œuvre poétique sensuelle, émouvante et dénué de toutes perversions. A voir sans hésitation, au risque de passer à coté d’une des œuvres les plus marquantes des années 90.