L'impasse Brian De Palma - 1993
Quand on vient de voir une merde la meilleure chose à faire c'est de se laver les yeux c'est de choisir un film du meilleur réalisateur de l'histoire et on a plus qu'a choisir et ici tant qu'a faire autant prendre son masterpiece. Le dernier chef d'oeuvre de De Palma ( même si dans
Femme Fatale y a des beaux restes de son talent après il a fait comme ses copains italiens, surement par solidarité pour la coupe du monde perdu en 94, les dates concordent, ça me parait une bonne explication, du coup ils ont été en dépression et on fait de la merde ).
De Palma le génie réussit l'exploit a nous faire croire que Carlito va réussir à s'en sortir alors qu'on voit sa mort dès la première minute du film, pendant un moment on oublie même qu'il meurt dès le début, toute la virtuosité de De Palma est aussi service du film, dès l'intro avec l'image qui bascule on sait qu'on va en prendre plein les yeux et De Palma joue avec nos nerfs. Réussir à faire oublier la mort d'un perso c'est grand, c'est rare, c'est De Palma car commencer son film avec la mort de son héros c'est sacrément casse gueule, ici ce héros est donc dans l'antichambre de la mort et pendant 2h il va nous raconter comment il en est arrivé là avant de partir pour toujours, le Carlito's Way du titre. Alors qu'aujourd'hui on arrive même pas à nous faire croire qu'un personnage est en danger, De Palma réussit donc l'exploit de nous montrer la mort de son personnage et nous faire croire qu'il peut s'en sortir, si ça c'est pas du génie.
C'est une putain de tragédie Grec à laquelle on assiste, un putain de film noir, un putain de chef d'oeuvre. On peut considérer le film comme une suite de
Scarface avec un Tony Montana sortant de prison et ayant changé ( même si vu le psychopathe que c'est, un changement aussi radical est impossible ).
On suit donc Carlito Brigante qui veut se retirer du bizz pour pouvoir vivre sa vie tranquille mais tout ne sera pas si facile, il est otage de son passé, otage de sa réputation, otage de ses fréquentations, otage de son quartier, otage de son code de l'honneur dans une époque où ça ne veut plus rien dire, il se retrouve donc dépassé par les évènements, il ne contrôle plus rien, d'où l'impasse du titre fr, mais la seconde chance ne sera pas rendez vous, finalement c'est un film sur la fatalité.
Le script évite à merveille le truc cliché de la rédemption, non Carlito ne la cherche pas, il essaye pas de se racheter, il veut juste changer de vie, il cherche pas un pardon quelconque, bon certains pisse froid diront que le déroulement est trop linéaire et alors ? depuis quand c'est un défaut un script linéaire surtout que c'est aussi bien rythmé et qu'on ne s'ennuie pas une seule seconde et que le script se révèle plutôt riche et dense ( de loin le meilleur script de David Koepp ), à une époque où on encense n'importe quel film, Carlito's Way est un modèle d'écriture, point barre.
Un film qui se révèle profondément mélancolique et au ton très crépusculaire dont la fin est toujours aussi bouleversante, De Palma a toujours eu cette mélancolie en lui, elle est là dans plusieurs films, d'ailleurs l'histoire d'amour est ici assez belle et même lyrique.
Comme dans tout De Palma qui se respecte, la caméra est toujours en mouvement et on a donc des scènes d'anthologies. Une fois de plus il mérite sa réputation de maitre du suspens, ici on a donc la scène du billard : véritable mise en abîme ou De Palma nous annonce la couleur a travers le perso de Carlito quand il dit un truc du genre "je vais vous faire un coup comme vous avez jamais vu" c'est De Palma qui nous dit " Attention les gars, voilà tout mon talent qui va vous gicler à la gueule. Et c'est une démonstration à laquelle on assiste, un modèle de découpage ( où le regard de Carlito nous fait comprendre la situation en un rien de temps, et de dilatation du temps, le plan ou on voit passer le tueur dans les lunettes ça tue avant le déchainement de violence ( le tout jeune John Ortiz se fait égorger ) et le "ok i'm reloaded" est depuis entré à la postérité tellement il a été reprit dans des morceaux de rap. De Palma fait passer tellement d'info juste avec sa caméra.
Et puis il y a cette dernière demi heure de folie, qui commence avec la visite de Brigande à son avocat et là c'est un enchainement de scène qui tue : la mort de Penn avec ce plan sur le gun et les balles jeté à la poubelle, ce plan séquence dans la boite ou Brigande gère toute la situation ( avec l'éternel mouvement 360 ° sur les acteurs entrain de parler et les monologues intérieurs vraiment bon ) puis le début de la course poursuite morceaux de bravoure ultime ou De Palma enchaîne les plans séquences de virtuose ( alors que dans un film comme
Outrages son plan séquence c'est la pure esbroufe ici c'est vraiment parce que c'est le meilleur moyen de rendre la scène immersive ), on sait très bien que cette course est inutile que c'est juste un baroud d'honneur, une course contre la fatalité.
Le dernier plan est magnifique avec Carlito qui s'en va en paix, qui sait que Gail élèvera très bien son fils.
Et même dans un film comme ça il arrive a refourguer ses obsessions de voyeur ( Carlito qui espionne Gail ou quand il se retrouve sur le pas de la porte mais il délaisse sa vulgarité légendaire de
Body Double et
Pulsions, il recycle ses scènes des
Incorruptibles comme le meurtre de l'ascenseur ou le final dans l'escalier, par contre il se calme avec ses gimmick ainsi on pas de split screen et sauf erreur il utilise la double focale une seule fois ( lors de la scène de la libération de Carlito ). Et pui il y a comment il filme ses dialogues, c'est des trucs cons mais chez De Palma le champ contre champ n'est pas une option, on filme ça avec brio.
Al Pacino amha dans son meilleur rôle ici pas de faute de gouts, pas de surjeu et il est merveilleusement mis en valeur par De Palma qui adore sa façon de bouger, Pacino quand il se déplace c'est juste la classe, quand je pense à Pacino je pense directement à ce rôle, ce qui est pas rien quand on regarde sa monstrueuse filmo, Sean Penn méconnaissable trouve lui aussi dans un de ces tout meilleurs rôle, faut dire que son perso d'avocat c'est de l'or en barre a jouer ( lui aussi est très sobre dans un rôle ou il aurait largement pu cabotiner, chose qu'il sait faire à merveille pourtant, il est dans l'excès juste ce qu'il faut ) par contre quand je pense à Penn je pense pas à ce rôle tant il
a fait n'importe quoi depuis ce film, John Leguizamo campe un Benny Blanco from the Bronx inoubliable dans son rôle de grande faucheuse ( j'adore le gros plan sur sa tronche lors de son face à face avec Pacino dans la boite de nuit), Luiz Gusman c'est du second rôle solide ( flic ou gangster il joue que ça ), Viggo Mortensen prouve en 2 minutes que c'est un putain d'acteur, et Penelope Ann Miller au corps parfait dans le seul film de sa carrière dont elle peut vraiment être fier, jamais comprit les reproches qu'on faisait sur sa prestation surtout si c'est pour encenser Geneviève Bujold dans Obsession.
La photo est a tomber avec des éclairages magnifiques, rouge sang, bleu nuit et noir comme la mort.
Le seul léger bémol que j'aurais c'est sur la BO, c'est moins convaincant que d'habitude Patrick Doyle n'a clairement pas le talent d'un Morricone ou d'un Pino Donaggio, enfin on entend de la bonne zic et Joe Cocker ça le fait toujours.
A noter que le film fera un four en France, mais genre vraiment, et qu'il sera nommé film de l'année par les Cahier du cinéma, comme quoi ils regardent pas que du Goddard.
Carlito's Way c'est LE cinéma, l'essence même du cinéma, son plus parfait défenseur, et depuis il trône tout en haut avec son statut de chef d'oeuvre inébranlable, là on parle de vrai chef d'oeuvre, on parle pas d'Avatar. Un jour Larry Bird avec un match contre les Bulls avait déclaré “God disguised as Michael Jordan" en parlant de la performance de Jordan, bein ici c'est pas pareil, c'est Dieu déguisé en De Palma.
"I'm so tired"
Et pour le fun, l'avis de Gans sur le film (bon il peut être revu le film depuis, j'espère pour lui) :
"Ce n'est pas un hasard si la carrière de Verhoeven a suivi celle de De Palma. Leurs deux carrières sont bâties sur le cynisme et c'est ce qui est en train de les tuer. Voir RAISING CAIN ou BASIC INSTINCT, c'est quand même effrayant en comparaison avec leurs premières oeuvres respectives.
CARLITO'S WAY m'a abasourdi: c'est son pire film. C'est effrayant de bout en bout. Voir la pétasse de Martin Bregman, Penelope Ann Miller,filmée avec des filtres de merde comme un film des années 70 avec Barbra Streisand réalisé par Arthur Hiller, tu te demandes "Comment le cinéaste qui m'a fait aimé le cinéma en est arrivé à cette daube infâme? c'est monstrueux,c'est le zéro absolu du cinéma.
(...) Tant qu'il se complaisait dans son cynisme mais qu'il restait sur la frange, c'était parfait car il faisait des films en réaction contre le reste de la production américaine. CARLITO'S WAY est un film dans la m..... C'est insupportable. J'en ai autant pour le DRACULA de Coppola.
Quand je vois ce genre de films, je me demande si j'aime encore le cinéma. Et puis heureusement,quelques jours après,je vois un bon film et je me dis que ce n'est pas moi qui débloque!"
Tarantino a un avis un peu plus nuancé mais bon :
"Je crois sincèrement qu'il n'y a que deux choses à retenir dans L'IMPASSE. Mais elles sont tellement bonnes qu'elles sauvent le film. La scène du billard, chef-d'oeuvre de suspense, et la poursuite dans le métro. je suis retourné quatre fois au cinéma, rien que pour voir cette poursuite. Elle commence quand il sort du club. A partir de là, pendant les vingt minutes qui suivent, vous êtes parti pour une fantastique leçon de cinéma."