Une femme est une femme Jean-Luc Godard 1962
Bienvenue dans le nouveau monde cinématographique, celui qui filme les marchés et les visages des anonymes dans la rue, encourageant de larges mouvements sur un immense balcon d'une fenêtre à l'autre, déliant les langues dans des dialogues déstructurés, respectant l'oreille en lui offrant intégralement la douce musique d'un titre légendaire de Charles Aznavour, faisant de Jeanne Moreau l'apparition que d'un seul mot « Moderato ».
Cette véritable porte Saint Martin filmée d'en haut envoie à la benne Alexandre Trauner et son gigantisme architectural reconstituée naguère en studio.
« Tu te laisses aller » cela pourrait servir de sous titre à ce film aux concepts extrêmement neufs ou Emile fait du vélo dans son appartement sous les toits.
Ses apparitions épisodiques dans ce petit nid sous les étoiles assurent une refonte des sentiments qui deviennent libres, Angéla et Emile s'aiment tout en valorisant un ailleurs rythmant les pulsions de leurs existences.
Nous sommes dans le royaume de l'oisiveté et de la patience, les scènes prennent le temps de se faire aimer en se dupliquant. Angéla affublée d'une lampe de nuit se laisse véhiculer par le mouvement répétitif dominante de ce courant nouvelle vague envoyant au diable le comédien d'antan crispé dans ses marques.
Le dialogue est volontairement incohérent, la musique forte et folle de Michel Legrand habille d'une seconde peau ce film ou il est impératif d'avoir un regard neuf sur une conception que l'on peut comparer scientifiquement aux idées d'Einstein par rapport à celle de Galilée, tout est nouveau, surprenant, irritant parfois.
Une amicale pensée est distillée à François Truffaut par Marie Dubois mimant adroitement « Tirez sur le pianiste ». La caméra de Raoul Coutard indispensable au nouveau règne du décor naturel donne une confortable liberté aux comédiens.
Jean-Luc Godard impose sa loi, son propre style, plusieurs films seront nécessaires afin de glaner un public devant ramer pour comprendre les méandres intellectuels du maître sans claquer la porte. Tout ceci ressemble à un esthétisme cérébral révélateur, un concept visuel et verbal novateur exterminant le courant cinématographique d'antan.
Jean Luc Godard se hisse sur les épaules de René Clair et soudain l'horizon parait plus éloigné.
« Angela tu es infâme, mais non je ne suis pas infâme, je suis une femme ».
8/10 pour le courage d'imposer un nouveau style