FurieAprès une parenthèse française (Liliom, 1934), le réalisateur allemand Fritz Lang suit la mouvance initiée par ses illustres collègues et compatriotes Friedrich Murnau et Ernst Lubitsch, entre autre, et part s’exiler aux Etats-Unis. Dés son arrivée, il y réalise Furie, qui sort en 1936, et qui restera, en ce qui me concerne, sa plus grande œuvre.
Si le film a autant marqué son époque, c’est parce qu’il traite d’un sujet tabou à l’époque: le lynchage. Joe Wilson prend la route pour rejoindre sa fiancée (sublime Sylvia Sydney) dans une petite bourgade du sud des Etats-Unis. En chemin, il est arrêté par la police et injustement accusé du kidnapping d’une petite fille. Les habitants de la ville sont rapidement au courant, et réclament vite une justice autoproclamé et irréversible…
Cette forme de justice populaire était encore très présente aux Etats-Unis, près de 5 000 personnes en ayant été victime entre 1880 et 1950, et ce film a contribué a l’évolution des mentalités. Bien que la majorité des personnes lynchées fût noires, le personnage principal du film n’est qu’un simple pompiste blanc. Un américain moyen en somme, une manière de rendre le film encore plus universel. Le choix de Spencer Tracy, encore une fois époustouflant, pour incarner Joe Wilson n’est pas innocent : c’est l’acteur du peuple par excellence. Une manière aussi d’interroger le spectateur, qui peut tout aussi bien être la victime que le coupable.
Un homme seul n’est pas capable de commettre cet acte atroce, mais un ensemble d’hommes, une foule le peut. La foule ne pense pas, elle perd toute humanité et s’engage de manière normale vers une solution radicale. Quand des pères de familles, des jeunes femmes, des commerçants, bref, d’honnêtes citoyens raisonnables deviennent d’hystériques tortionnaires. La mise en scène de Lang va totalement dans ce sens. Il n’y a qu’à voir les plans dans le bar, sur les habitants qui parlent, qui échangent, qui s’interrogent, qui débattent, qui sont humains. Puis quelques minutes plus tard, sur la foule informe, composée des mêmes visages, mais cette fois ci aux regards plein de haine, qui n’ont qu’une idée malsaine en tête, et que personne ne pourra arrêter, pas même le shérif et ses hommes. Séquence magistrale dans son rythme, son intensité, son découpage narratif et sa musique.
Un formidable film sur la culpabilité, la justice et la loi. Lang y développe surtout un pamphlet contre la haine sous ses deux formes, qu’elle soit instinctive et aveugle, ou réfléchie et préméditée. En effet, le film va bien plus loin qu’une critique du lynchage a proprement parler, cet acte n’étant finalement que le point de départ et ne durant que la première moitié du film. On y parle ensuite des conséquences et de la vengeance, et c’est peut être cette partie qui est la plus intéressante, car des questions essentielles y sont soulevées sur l’auto-justice, la puissance de la pensée collective ou encore la démocratie.
J'ai toujours admiré la capacité de Fritz Lang à transcender son matériel de départ pour toujours livrer un film intemporel, malgré un sujet très ancré dans son époque. Il a vraiment une "touche", un truc en plus que nombre de réalisateur n'a pas. Et ce Furie, réalisé il y'a plus de 70 ans quand même, et bien plus moderne et poignant que certains films plus récent sur le même thème, je pense notamment a Mississippi Burning d'Alan Parker ou The Chase d'Arthur Penn.
On peut tout juste regretter les quelques minutes finales, étonnamment optimistes, qui contrastent totalement avec le reste du film. Mais c’est peu. Un film a la puissance évocatrice affolante, que je ne peux que vous conseiller chaudement.
9/10