Il n’a failli jamais voir le jour. Tournage chaotique, post-prod interminable, changement de réalisateur (Mark Romanek remplacé par Joe Johnston), refus de la composition de Danny Elfman finalement re-intégrée, date de sortie sans cesse repoussée… On pouvait légitimement craindre le pire pour ce revival d’une icône du bestiaire Universal. D’autant plus que les bons films de loup-garous ne courent pas vraiment les rues. Les dernières apparitions de lycanthropes se résument au calamiteux Twilight 2, au ridicule Van Helsing, au sympathique mais moyen Underworld (en faisant l’impasse sur les deux suites), rien d’extraordinaire donc. En fait, si on remonte le temps pour revenir aux derniers grands films du genre, il faut retourner en 1981, avec deux claques la même année, le Loup-Garou de Londres de John Landis et Hurlements de Joe Dante. Depuis, plus rien à se mettre sous les crocs.
C’est donc avec appréhension qu’on attendait ce nouveau film. Mais avec une certaine excitation également! Il s’agit d’une relecture du classique Universal de 1941 avec Lon Chaney Jr., un film magnifique et indémodable, Joe Johnston est surtout un yes-man du film de genre, efficace mais pas transcendant non plus (Jumanji et Jurassic Park III). De quoi s’attendre à un produit calibré tout public. Sauf que le film est classé R pour « bloody horror violence and gore », qu’on retrouve au casting des acteurs qui ont pour habitude de faire d’excellents choix, et que les premières images dévoilées étaient tout simplement magnifiques. Le résultat? Et bien on n’avait pas vu aussi bon depuis presque 30 ans!
Mieux vaut ne pas s’attendre à une relecture moderne comme Wolf de Mike Nichols ou une supercherie métaphorique comme le Village de Shyamalan, Wolfman version 2010 est un pur film d’épouvante et de monstres comme on n’en fait plus depuis trop longtemps. C’est donc un film à niveau de lecture unique, et qui la joue très premier degré. Tant mieux c’est exactement ce qu’on attendait! Les scénaristes (qui ont quand même bossé auparavant sur Sleepy Hollow, Se7en et les Sentiers de la Perdition, des gens très bien donc) ont repris les grandes lignes du film original de George Waggner en l’accommodant à leur sauce pour faire revivre le mythe de la plus belle des façons. Et tout ce qu’on pouvait craindre légitimement laisse place à l’immense surprise d’enfin voir un film non seulement respectueux du genre qu’il aborde mais surtout absolument pas calibré pour les adolescents pré-pubères. On est donc très loin de toute la vague de films « d’horreur » PG13 qui tuent le cinéma de genre à petit feu.
Wolfman renoue avec l’épouvante à l’ancienne, allie parfaitement des images superbes à un propos effrayant, barbare et gore. Aucun consensus sur la violence qui est ici omniprésente, une bête de la stature d’un loup-garou qui attaque ses victimes, ça fait de sérieux dégâts et on les voit à l’écran, gros plans à l’appui. Et si tout ça est aussi efficace, c’est que le réalisateur et son équipe n’ont pas cédé aux sirènes du tout numérique. Ils utilisent les CGI avec parcimonie, simplement sur les séquences qui les nécessitaient. C’est donc un véritable plaisir que de retrouver de vrais maquillages et des effets gores au doux parfum vintage, et qui sont le résultat du travail du grand Rick Baker à qui on doit entre autres les effets du Loup-Garou de Londres et récemment de Hellboy et Tonnerre sous les Tropiques. Une des grosses craintes se situait du côté de la transformation en loup-garou, passage obligé et délicat qui peut rapidement sombrer dans le ridicule, elle est superbe. Douloureuse, graphique et malsaine, elle restera sans doute comme un modèle du genre tant elle est réaliste.
Si la trame est relativement classique (pour quiconque a vu l’original) le traitement visuel surprend. Un boulot démentiel a été fait sur les décors qui renvoient l’Angleterre du XIXème de Sherlock Holmes au rang de jolie carte postale guillerette, mais surtout sur l’ambiance générale du film. La photographie est somptueuse et réussit à créer un univers brumeux, gothique et fantastique comme on n’en avait plus vu depuis Sleepy Hollow. D’autant plus qu’à la surprise générale Joe Johnston fait bien plus que son boulot de faiseur, armé d’une mise en scène de très haut niveau et se permettant plusieurs audaces visuelles. A ce titre la séquence de l’asile est une merveille, nous plongeant au cœur de la folie dans un maelström d’images aussi brutales que dérangeantes. Pour le reste c’est toujours très maitrisé, énergique et sans esbroufe déplacée. Johnston fait même des merveilles lors des attaques du monstres et fait preuve d’une sauvagerie vraiment surprenante parfois, à l’instar de la scène du camp de gitans, irrespirable.
A la liste des louanges s’ajoute le casting impeccable. En tête Benicio Del Toro, impliqué jusque dans la production du film, qui livre une prestation encore une fois littéralement habitée. Personnage hautement tragique et torturé, il ajoute au mystère de Lawrence Talbot une élégance qu’on ne lui connaissait pas. A ses côtés Emily Blunt s’en sort avec les honneurs dans un rôle légèrement sacrifié au montage, tout comme celui d’Hugo Weaving en inspecteur Abberline quelque peu désabusé. Mais bien entendu c’est Anthony Hopkins qui réussit à tenir tête à Del Toro, l’acteur anglais prouve une fois de plus son aisance dans ce genre de rôle d’aristo étrange aux pouvoirs inquiétants. Si on devait émettre quelques réserves elles se situeraient du côté de quelques rares effets relativement moches mais surtout de la sensation d’une tragédie shakespearienne sacrifiée sur l’autel de l’efficacité.
Ainsi, la relation entre Lawrence et Gwen semble superficielle, ce qui nuit quelque peu à l’émotion recherchée dans le final. Mais ne boudons pas notre plaisir car Wolfman est un excellent film. Brutal, sanglant (entre tripailles et membres découpés rien ne nous est épargné), effrayant, baigné d’une ambiance magnifique et poétique, le film mêle romantisme et peur primale de la plus belle des manières. C’est une franche réussite qui se classe directement parmi les modèles du genre.