3 ans après la Môme et son succès phénoménal en France et à l’étranger, 2 ans après Sagan, quelques semaines après Coco Chanel & Igor Stravinsky, il n’est pas étonnant de voir débarquer un nouveau film sur une autre figure mythique de la culture française, Serge Gainsbourg. Dans un pays où le biopic ne faisait pas forcément partie du paysage cinématographique… c’est un changement presque excessif. Sauf que Gainsbourg n’est pas vraiment un biopic (le film de Kounen ne l’était pas non plus d’ailleurs), et s’il est écrit un « conte » de Joann Sfar et non un « film », il y a une bonne raison. Comme cela nous l’est confirmé à l’ouverture du générique de fin, cette Vie Héroïque s’inspire avant tout de ce qu’a pu dire Gainsbourg dans sa vie, les vérités comme les mensonges. Le film est donc un mélange permanent de vraies tranches de vie et d’imaginaire débridé, dans un ensemble passionnant presque de bout en bout, presque autant que cet artiste génial et auto-destructeur qui en est le sujet. Mais c’est avant tout un film d’une ambition démesurée, sans doute trop pour le premier passage derrière une caméra du dessinateur niçois Joann Sfar qui ne peut éviter certaines maladresses, mais c’est également cette ambition qui porte le film vers des cimes qu’aucun biopic français (et que peu de films français) n’avait jusque là aperçu. Un film audacieux fait par un admirateur, qui en a rêvé d’où la mention héroïque dans le titre, à la fois assez cynique (car Gainsbourg aussi talentueux était-il, n’avait rien d’un héros) et révélatrice du fait que tout cela n’est que la vision d’un artiste sur un autre et non une biographie.
Dans la construction narrative, Gainsbourg (Vie Héroïque) flirte autant avec le très classique dans la temporalité (enfance, vie, fin de vie) qu’avec une vision plus originale qui fait apparaitre à l’écran une sorte de succession de tranches de vie plutôt qu’un récit linéaire. Quelques étapes, quelques détails, parfois authentiques, parfois imaginés et parfois métaphoriques (le flingue chargé) qui viennent construire un portrait assez fascinant de l’homme derrière l’image.
Fascinant en grande partie par la forme. Joann Sfar a fait les beaux arts et ça se voit. Même s’il n’avait jamais touché à l’image de cinéma, il est clair que c’est quelqu’un qui sait faire une belle image et donc un beau plan. Il s’amuse avec tous les outils mis à sa disposition, largement appuyé par le chef op Guillaume Schiffman (plutôt doué quand on voit l’image qu’il a sorti sur les deux OSS117) pour un résultat visuellement étonnant, presque hypnotique par sa beauté à laquelle s’ajoute une imagerie très conte de fées avec des décors resserrés, des lumières irréelles, des poses hors du temps… Et cet aspect-là, qui embrasse complètement le fantastique (et c’est bon de voir un film français ne pas en avoir peur!), permet au réalisateur de livrer parmi ses plus belles scènes. Ainsi, même si sur la longueur cela devient un gimmick qui perd peu à peu de son intérêt (sauf à la sortie de l’infarctus où il prend une autre dimension), l’idée du double est excellente. Gainsbourg l’avait cultivé de son vivant avec l’opposition Gainsbourg/Gainsbarre ou sa chanson Docteur Jekyll et Monsieur Hyde, elle se voit ici personnifiée dans ce personnage surréaliste et caricatural appelé « la Gueule » et qui suit Serge depuis son enfance, évoluant tout d’abord comme sa conscience, puis son côté obscur et enfin son doppelganger.
Créant des moments d’onirisme pur, cet être imaginaire à qui le grand Doug Jones (Abe Sapien dans Hellboy) donne vie, est bien la touche en plus d’un film qui se démarque totalement de la production hexagonale car il n’hésite pas à utiliser le film de genre pour alimenter un cinéma populaire, chose qui aujourd’hui encore parait insensée au pays de la comédie potache et de la pseudo-masturbation intellectuelle du cinéma d’auteur. Mais c’est pourtant bien le ton qui convient le mieux à ce récit presque fantasmé d’un Gainsbourg bel et bien héroïque…
Héroïque car ce Gainsbourg qui nous est montré, on ne peut que l’admirer. Même si on n’a pas vraiment la réponse à cette grande énigme du XXème siècle, on a presque une piste de réponse sur le pourquoi du comment de son étonnante facilité à séduire les femmes (et pas les plus moches). Génie poète et charmeur, mais pourtant égocentrique et égoïste, il était un personnage attirant auprès duquel on se sentait sans doute élevé. D’ailleurs le film s’articule sur deux axes bien précis, certaines chansons et certaines rencontres, qui en font à la fois un film choral et un film musical. On a parfois un peu l’impression de voir un défilé d’actrices, surtout que certains de ces personnages sont traités un peu vite et pas assez en profondeur. Dans ces ratés, Mylène Jampanoï superbe dans le rôle de Bambou, Anna Mouglalis magnétique en Juliette Gréco, deux belles idées de casting mal exploitées à l’écran. Ce qui n’est pas le cas de Laeticia Casta qui impressionne vraiment dans la peau de Brigitte Bardot ou Lucy Gordon qui hérite du rôle de la personne qui a sans doute le plus compté pour le chanteur, Jane Birkin… ces deux-là sont extrêmement bien écrits (même si c’est à l’introduction du chapitre Birkin qu’on sent la première vraie baisse de rythme).
Et dans les seconds rôles on croise toute une galerie d’acteurs ou personnalités de renom comme par exemple Yolande Moreau (bourrée), Claude Chabrol, Sara Forestier (hilarante en France Gall), François Morel, Philippe Katerine en Boris Vian… ça fait un peu défilé de gala et plusieurs scène se répètent presque. C’est une des grosses maladresses du film. Puis au centre il y a quand même Eric Elmosnino qui se glisse dans la peau de Gainsbourg avec une aisance et une décontraction assez impressionnantes. Parfois la ressemblance est troublante, parfois beaucoup moins, mais dans l’ensemble c’est une sacrée performance d’acteur. La musique également est de haute volée, avec reprises bien sur de certaines chansons mais d’autres compositions plus inspirées que reprises et assez bluffantes.
Gainsbourg (Vie Héroïque) est donc un film très surprenant, par sa forme audacieuse, par son fond qui mêle fantaisie et biographie, par ses parti-pris originaux, sincères et pudiques. C’est un très beau film, qui ne s’essouffle que dans la toute dernière partie peut-être de trop, mais comme première œuvre c’est impressionnant de maitrise et c’est assez fascinant. Un film inattendu et singulier!