Depuis qu’il s’est fait un nom avec Nightwatch (le Veilleur de Nuit, dont il a également assuré le remake avec Ewan McGregor), on n’avait plus trop de nouvelles du prometteur réalisateur danois qui s’est retrouvé avec son film précédent, The Substitute (Vikaren en VO), en direct-to-video chez Ghost House Underground… pas vraiment glorieux donc car il partageait l’affiche de la collection avec quelques nanars de bas étage. Mais son passage très remarqué cette année à Sitges et au TIFF avec son tout dernier film, Deliver Us From Evil (qui n’a toujours pas de date de sortie en France) a sans doute incité les distributeurs à jeter un oeil sur quelques uns de ses travaux, dont ce Just Another Love Story qui sortira sur nos écrans le 6 janvier 2010 et qui s’avère être une excellente surprise qui prouve une fois de plus la grande vitalité du cinéma de genre nordique. Un simple coup d’œil à la bande annonce ci-dessous permettra de souligner l’insolence et le ton ironique du titre, car si il est bien question d’une histoire « d’amour » ce n’est en rien une romance de plus, ce n’est même pas vraiment une romance mais une sorte de drame qui ne vient se glisser dans aucun genre prédéfini et joue avec les codes cinématographiques pour le plus grand bonheur du spectateur en mal de nouveauté.
D’ailleurs Ole Bordenal plonge d’entrée de jeu le spectateur dans la confusion en imposant des codes narratifs assez étranges lors de son introduction. Divisée en 3 chapitres qui nous montrent 3 histoires d’amour ou plutôt 3 visions de l’amour radicalement différentes, composée de nombreux fondus au noir avec des encarts titres à la manière d’un film d’auteur expérimental, le rythme y est plus que lent, limite amorphe, mais les images dérangent assez pour intéresser.
Mais le film ne suivra pas ce rythme apathique, car ce qui semble intéresser Bordenal dans sa narration ce sont les ruptures de ton parfois brusques et dans la mise en scène de jongler d’un genre à un autre avec une étonnante facilité et un résultat sans cesse on the edge mais qui ne tombe jamais dans le ridicule, même si c’est parfois à la limite du grotesque sur la fin. Et plutôt qu’une histoire d’amour comme le suggère le titre, c’est l’histoire d’un homme, le type tout à fait normal, la quarantaine, et qui s’est englué dans une vie de couple qui ne le passionne plus. Sa femmes, ses gosses, la routine, il n’est pas heureux mais souffre en silence, jusqu’au jour où il est témoin d’un accident de la route terrible (dans le genre il n’est pas loin d’être aussi impressionnant que celui de Boulevard de la Mort, d’autant plus qu’il est traité de la même manière) et dont la victime, quasiment aveugle et paralysée, va considérablement changer sa vie…
En fait Just Another Love Story nous permet de réaliser une sorte de fantasme qu’on a tous plus ou moins eu à un moment de notre vie, changer d’identité, se mettre dans la peau de quelqu’un d’autre qui serait notre contraire absolu. Et ainsi ce qui ressemble tout d’abord à un jeu, un léger besoin d’aventure régressif, se transforme pour Jonas en une obsession et un véritable rejet de sa véritable identité, jusqu’à l’extrême. Son histoire avec Julia, qui n’a gardé que physiquement des souvenirs de ce qui s’était passé avant l’accident, va faire tendre le film dans toutes les directions: romance un peu malsaine, drame social, thriller à la lisière du film d’horreur… et si le récit ne nous surprendra jamais vraiment, y compris dans un retournement de situation final qu’on sent venir en étant un minimum attentif, la structure et le ton nous surprennent à chaque instant, le réalisateur étant plutôt doué pour changer radicalement de style en quelques secondes!
Ainsi l’intro qu’on devinait prophétique prend tout son sens, dans tous les évènements de notre vie, qu’ils soient heureux ou tragique, il y a toujours une femme. Le film met le spectateur dans une position inconfortable à de nombreuses reprises, en le parachutant comme voyeur dans des scènes relativement malsaines ou lors d’un final d’une sauvagerie qui étonne presque tant il verse dans la violence graphique et réaliste en plein cadre! C’est dire à quel point le film ne suit aucune logique, sauf dans son scénario éculé, et nous surprend à de nombreuses reprises sur le plan purement sensitif.
Pour Just Another Love Story, Ole Bordenal a fait appel au directeur de la photo Dan Lausten (Mimic, le Pacte des Loups, Silent Hill… pas vraiment une tâche donc) qui livre un travail remarquable sur l’image qui tout comme le film subit des brusques changements pour un résultat vraiment très beau. Au niveau de la mise en scène, c’est dans l’ensemble excellent (comme souvent chez les nordiques…), du travail sérieux qui se permet de nombreuses fantaisies et effets de styles, peut-être trop parfois avec une tendance à tomber dans une imagerie du thriller US mais cela ne gâche rien au spectacle. Les acteurs sont tous très très bons, et en particulier le quatuor central: Anders W. Berthelsen (Mifune, Chop Chop), Rebecka Hemse (surtout connue pour la série Beck au Danemark), Nikolaj Lie Kaas (Adam’s Apples, Anges & Démons, les Idiots) et Charlotte Fich (essentiellement actrice de TV). Ils donnent corps à cette histoire absolument dramatique et très pessimiste, qui va jusqu’au bout et ne cède heureusement pas au traditionnel happy end de toute love story qui se respecte. Un point sur la musique très belle et mélancolique, et qui rappelle beaucoup les compositions de Gustavo Santaolalla.
S’il n’y avait pas cette dernière partie trop convenue et peu surprenante, on tiendrait là une franche réussite car pendant longtemps le film nous balade sans qu’on sache vraiment ce qui nous attend, passant de la chaleur humide de la Thaïlande à la grisaille et la pluie du Danemark, changeant perpétuellement d’atmosphère et de ton… Comédie noire, romance, thriller, Just Another Love Story réussit à émouvoir et à passionner sur presque tout la longueur, ce n’est définitivement pas une histoire d’amour ordinaire…