En cette année cinématographique plutôt très riche en excellents films, il y avait pour moi 3 évènements majeurs (je ne compte pas Avatar qui me fait rêver autant qu'il me fait peur) pour autant de réalisateurs que j'ai tendance à vénérer: Inglourious Basterds de Quentin Tarantino, Public Enemies de Michael Mann et cet Imaginarium du Docteur Parnassus... 3 styles, 3 campagnes promos qui m'ont donné des frissons et avant de voir celui-là, 2 contrats largement remplis à mes yeux. Autant dire que l'attente de ce dernier film du génial Terry Gilliam (preuve ici qu'il fait partie des réalisateurs que j'admire le plus) était plus qu'immense, la peur d'être déçu également devant un film à la production plus que chaotique, dans la plus pure tradition "gilliamesque" qui a quand même atteint là des sommets avec le décès de l'acteur principal! Mais au final, devant cet objet filmique clairement malade, que dire... tout simplement qu'il s'agit de son meilleur film depuis longtemps, que c'est tellement riche qu'il faudrait le voir une dizaine de fois pour tout appréhender, que c'est merveilleux... un peu tout ça, et bien plus encore! Du très très grand Gilliam en roue libre, donc passionnant.
Et dire que ce film a failli subir le même triste sort que l'adaptation maudite de Don Quichotte... ne jamais voir le jour. Que cela aurait été triste de ne pas voyager encore une fois dans l'esprit tordu de l'ex-Monty Python, qui signait là son premier scénario original depuis les Aventures du Baron de Muchausen, il y a plus de 20 ans! Car dans cet Imaginarium, il y a tout ce qui fait le charme de son oeuvre dans son ensemble, un concentré de folie made in Gilliam, une déclaration d'amour aux freaks, aux contes de fées et à l'imaginaire en général... alors oui ceux qui n'ont apprécié que Las Vegas Parano et l'Armée des 12 Singes, ceux-là même qui ont craché sur Tideland, ceux-là n'ont sans doute pas aimé, preuve indéniable à mes yeux qu'ils n'aiment tout simplement pas son cinéma, qui brasse à la fois des thèmes sérieux ou graves tout en y ajoutant cette forte dose de fantaisie qui donne l'impression au premier abord de voir un film qui part dans tous les sens... alors que c'est d'une cohérence absolue...
Comme d'habitude on peut être perdu, déboussolé par la narration toute en ruptures, assommé par un univers tellement foisonnant qu'il faudrait faire un arrêt sur image à chaque plan pour en saisir tous les détails... mais la magie est à ce prix! Car tout est là, absolument tout ce qui fait l'attrait de cet univers aux frontières de l'imagination. On y retrouve un peu du Baron de Munchausen dans le personnage de Parnassus, un peu du Bandits Bandits pour le côté un peu foutraque et les nains, pas mal de Fisher King pour la poésie fantastique qui naît des demeures des sans-abris, du Brazil pour la société désincarnée... Mais le film va bien au-delà du simple best-of du monde vu par Terry Gilliam, il est à la fois merveilleux et très grave dans son regard sur notre rapport actuel à tout ce qui touche l'imaginaire. C'est là tout le fil conducteur, imparable, notre société de nous laisse plus le temps de rêver au monde qui nous entoure...
Gilliam est le seul réalisateur aujourd'hui capable de faire cohabiter un réel contemporain déprimant avec un envers du décor coloré et fantastique. Il le prouve dès l'ouverture de son film, à l'apparition de cette roulotte, sorte de caverne d'Ali Baba ambulante qui nous donne notre premier contact avec l'autre côté du miroir... et là on s'en prend déjà plein les yeux! Car cet autre monde, imaginaire mais qui en même temps révèle concrètement la vraie personnalité de ceux qui y pénètrent, est un régal pour les yeux. Pour faire simple, il renvoie les errances de Tim Burton et ses dernières visions fantaisistes à du pur amateurisme. Décors qui mélangent carton pâte et images de synthèse dans un patchwork d'influences visuelles qui va de Samuel Beckett à Faust, en passant par les maîtres surréalistes et bien entendu les Monty Pythons. Car il faut l'avouer, on retrouve beaucoup de cette richesse graphique qu'on trouvait déjà dans les séquences d'animation de Gilliam chez les Pythons...
Et à côté de ça, ce qui semble gêner pas mal de monde se trouve du côté de la narration, à priori sans queue ni tête... à vrai dire l'intrigue on s'en fout un peu! L'imaginarium est un film sensitif, un voyage, un récit initiatique, un conte philosophique, comment pourrait-il voler vers ces cimes avec une intrigue terre-à-terre et balisée? Impossible!! Plus j'y pense, plus je vois dans les réactions à ce film une logique éblouissante, ceux qui sont ouvertement critiqués pour ne pas regarder les merveilles autour d'eux (elle est là pourtant, derrière le béton) n'ont pas aimé. Il faut avoir gardé intact son esprit de voyageur itinérant de l'imaginaire pour accepter d'être embarqué dans ce merveilleux voyage. Car ce film joue la carte plutôt risquée de refuser un quelconque modèle de convention cinématographique, c'est une oeuvre libre, sans limites, et donner ce genre de liberté artistique à quelqu'un à l'esprit aussi productif que Terry Gilliam est un risque proche de l'inconscience, car une large audience risque d'être larguée...
Et au milieu de ces magnifiques tableaux surréalistes, jamais kitsh (Gilliam trouve avec la 3D un outil inépuisable qui semble avoir été pensé pour lui), se baladent des thématiques profondes. Nos choix de vie sont-ils définitifs? Quel est le prix de nos rêves les plus fous? Et au détour d'une scène à priori banale, quand le gamin détruit ce qui l'entoure avec sa nintendo DS, il pose LA vraie question, qui sera ensuite le moteur de la scène avec les bourgeoises, a-t'on vraiment perdu cette faculté de laisser aller notre imagination à cause de notre monde technologique et matérialiste? Il n'y répond pas, il nous offre simplement sa vision. Et comme symbole il invoque le mythe de Faust, le pacte avec le diable en échange du cadeau empoisonné qu'est la vie éternelle... Et Parnassus, qu'on a du mal à cerner, est-il un charlatan, un escroc, ou est-il vraiment ce qu'il dit être, se révèle comme un personnage tragique à l'extrême.
Comment donner vie à cette pure vision d'un esprit en ébullition permanente? Avec de grands acteurs. Entre les énormes surprises que sont Andrew Garfield et Lily Cole, les valeurs sures Christopher Plummer, Tom Waits (exquis dans le rôle du Diable) et Verne Troyer (sorte de Gémini Cricket) c'est déjà le grand jeu. Mais il y a bien sur Heath Ledger... si sa performance n'atteint jamais les sommets de son rôle en Joker, il est impeccable, magnétique. Pour prendre son relais dans l'imaginarium, Johnny Depp, Jude Law et Colin Farrell sont clairement impliqués, allant de son côté le plus lumineux et charmeur vers son côté sombre... C'est ce dernier qui livre encore une sacrée performance!! Bizarrement, alors que le décès tragique de Ledger aurait pu enterrer le film, il lui apporte une émotion qui aurait manqué... En effet, comment ne pas se laisser submerger lors de son apparition puis lors de son retour à la vie... c'est très beau.
Avec ses lentilles déformantes, sa mise en scène faite d'envolées, ses dialogues savoureux, Gilliam livre ici un film somme de toutes ses meilleures idées. On peut trouver ça indigeste car too much c'est vrai. Mais pourtant, dès la première vision (et je crois qu'il en mérite beaucoup plus), une chose saute aux yeux, il n'avait plus fait d'aussi grand film depuis longtemps. Comme souvent l'histoire jugera mais L'imaginarium du docteur Parnassus est un film brillant, pour peu qu'on s'y laisse entraîner.