Belle redécouverte (et découverte tout court pour la version longue et une copie en haute définition de toute beauté!) de ce qui restera sans le moindre doute comme le meilleur film de Besson, et de loin. En reprenant un des personnages de Nikita qu'il modifie amplement, il signait le film qui allait changer sa carrière... tourné à New York, en anglais, portes grandes ouvertes pour une carrière internationale suivie du succès et de la déchéance (artistique) qu'on connaît. Bien plus qu'un Grand Bleu au statut incompréhensible pour qui n'est pas de cette génération, c'est avec Léon qu'on se rend compte que Luc Besson fut un grand réalisateur, avant de devenir un bien piètre producteur (mais excellent businessman). C'était l'époque où il savait écrire des scénarios contenant autre chose que des chinois, des putes, des gros blacks et des Audis, bref l'époque où il savait encore faire du cinéma, du grand cinéma même car Léon, qu'on le veuille ou non, est un excellent film qui se révèle encore plus profond dans sa version longue.
Pourtant le sujet était casse-gueule et un poil borderline... une gamine de 12 ans que la vie a fait grandir trop vite et un tueur un peu autiste sur les bords. Même si ce n'est jamais vraiment explicite, on sent bien le goût prononcé de gros Luc pour les jeunes filles (Maïwenn a eu sa fille à 17 ans, a épousé Milla Jovovitch qui avait 22ans...) et on ne s'étonnera pas du naturel avec lequel il filme une gamine qui tombe amoureuse d'un adulte. Mais ce n'est qu'une petite partie du propos du film qui avant toute chose traite son sujet avec tendresse. Par contre si on peut faire d'emblée un reproche à ce film c'est que Besson a beau faire de très belles images, de très beaux plans travaillés, il manque quand même de véritable style dans la mise en scène. Mais il en est sans doute conscient et ne tente donc pas des figures qu'il aurait raté, comme des gros gunfights qui auraient pourtant eu leur place.
D'ailleurs dans Léon il y a finalement très peu d'action! Le film est avant tout orienté sur la relation entre Léon et Mathilda, une relation en perpétuelle évolution : amis, père/fille, maître/élève, partenaires, amour platonique. Cette approche permet au réalisateur de vraiment soigner ses quelques moments de violence, trois en tout, l'ouverture du film qui est carrément un modéle de construction, l'assassinat massif de la famille de Mathilda (avec vue subjective et exécution dans la baignoire du plus bel effet) et bien entendu le long final. Intelligemment Besson ne se prend ni pour Michael Mann ni pour John Woo, il reste très sobre et c'est juste hyper efficace. Il peut être aussi très fier du travail de son complice de toujours Thierry Arbogast à la photographie qui rend le film sublime, en particulier dans ses contrastes ombre/lumière pour souligner la furtivité du tueur.
En fait Léon est surtout un film intimiste et une histoire d'amour. Et même si on peut comprendre qu'on puisse être choqué par ce genre de relation, c'est vrai que dans le film ça passe très bien, c'est naturel. Ce tueur implacable, ce professionnel glacial et cette gamine délaissée puis paumée quand sa seule attache lui est enlevée ont tous les deux besoin de quelqu'un. Et plus le film avance plus on se dit qu'il étaient fait pour être ensemble... Et en ce sens le final déchirant qui refuse tout happy end bénéficie d'une véritable portée émotionnelle! De plus cette version longue (20 minutes en plus) en ajoute avant tout à cette relation qui à plusieurs reprises (le resto, la chambre) frôle la frontière de la morale mais sans jamais la traverser, et c'est tant mieux. Elle permet aussi d'approfondir l'apprentissage de Mathilda en tant que nettoyeuse.
Par contre c'est vrai aussi que le film souffre de quelques incohérences... La plus grosse étant tout de même la scène au commissariat, un peu facile d'accès!! Mais on lui pardonne c'est un détail.
La grosse réussite de Léon tient de son casting, avec trois têtes d'affiche extraordinaires de justesse. Jean Reno trouve ce qui restera comme le rôle de sa vie dans ce tueur nounours un peu bébête sur les bords et qui reprend difficilement goût à la vie, Gary Oldman est parfait en flic psychopathe incontrôlable. Son sourire sournois, ses spasmes, ses réactions imprévisibles... il est vraiment effrayant, criant de vérité, sa performance est juste énorme... Mais c'est la toute jeune Nathalie Portman (13 ans à l'époque) qui impressionne. Dans un personnage au corps d'enfant, aux sentiments innocents, et aux pensées d'adulte, elle est d'un naturel incroyable, preuve précoce de son immense talent (et de son charme inexplicable).
Avec des personnages aussi bien écrits et aussi bien interprétés, la trame finalement très simple de Léon se suit avec passion, surtout car il y a beaucoup d'éléments très crédibles là-dedans! Besson emballe son film de bien belle manière, c'est à dire avec sobriété et efficacité mais sans tomber dans du classique aseptisé.
Il joue avec des émotions simples, les souligne juste comme il faut, sans chercher le spectaculaire ou le pathos gratuit... En fait il y a une chose qui dégoûte vraiment devant ce film, c'est de voir ce dont ce réalisateur était capable et de se pencher inévitablement sur la tournure qu'il a voulu donner à sa carrière... Un talent gâché au profit de la toute puissance du nouveau nabab de la production cinématographique française. C'est dommage mais heureusement pour nous, on peut faire abstraction de ce qu'il est devenu et se repasser encore et encore cette petite merveille qu'est Léon.