Encore un roman réputé inadaptable au cinéma... De nombreux réalisateurs se sont cassés les dents sur le projet, et pas des moindres: Stanley Kubrick, Milos Forman, Martin Scorsese, Tim Burton, Ridley Scott... C'est donc plutôt une surprise de retrouver dans le siège du réalisateur l'allemand Tom Tykwer à qui on doit le visuellement très réussi Cours Lola, Cours. Un véritable esthète capable d'en faire un peu trop dans la surenchère d'effets de style. Mais après tout pourquoi pas? Le principal défit du film, qui était réussi dans le roman que je n'ai pas lu, était de retranscrire des odeurs par des images... et sans les nombreuses descriptions que les mots peuvent permettre il est clair que c'est une mission quasi-impossible! A priori selon les lecteurs l'adaptation est réussie, le film en lui-même est assez passionnant et présente de véritables fulgurances de cinéma avec des fautes de goût conséquences du formalisme du metteur en scène. Un film assez difficile à appréhender en fait...
Dans les points qui fâchent d'entrée de jeu, il y a la langue. Certes pour un film voué au marché international et dans lequel on trouve de grands acteurs l'utilisation de la langue de Shakespeare tient de l'évidence... sauf que l'histoire se passe en France, les personnages ont tous des noms français mais parlent en anglais. Tout comme c'était le cas sur Mémoires d'une Geisha, ça tue presque le film, ou du moins lui enlève une bonne dose de crédibilité. D'autant plus que la France co-produit, mais passons, tout le monde n'a pas la possibilité d'affirmer son intégrité artistique à la manière d'un Steven Soderbergh ou d'un Mel Gibson! Voyons plutôt comment a été utilisé ce gros budget de 50M€... de la bonne manière c'est sur, et on s'en rend compte dès l'ouverture!
Accompagnée de la voix de John Hurt, qui restera le narrateur nécessaire tout au long du film, même si le procédé n'est pas ce qu'il y a de plus passionnant, la naissance de Jean-Baptiste Grenouille est un modèle d'introduction. On y découvre un Paris du XVIIIème siècle comme on ne l'avait encore jamais vu. La reconstitution est bluffante, la mise en scène et les jeux de lumière parviennent presque à nous faire sentir les odeurs pestilentielles de l'époque. Dans ce décor crade et glauque naît Jean-Baptiste, fils d'une mère infanticide... la scène est tellement puissante qu'elle ne sera jamais égalée jusqu'au final. C'est toujours le risque d'entamer un film à la perfection, il faut garder ensuite le niveau et là ce n'est pas le cas, malgré de très nombreuses qualités.
Passée cette intro magnifique on va suivre l'évolution de notre meurtrier (qui du bouquin au film est passé d'un individu hideux à un jeune homme au visage angélique) jusque dans l'accomplissement de son oeuvre. Intelligemment Tykwer ne tombe pas dans le Whodunit facile, de toute faon on connaît l'identité du tueur avant même d'avoir vu le film, et ce malgré un prologue qui cherche à nous faire partir dans la fausse direction... Les meurtres sont traités de façon inégale, le tout premier, celui qui hantera Jean-Baptiste jusqu'au bout et qui symbolise à lui seul toutes ses motivations, restant largement au dessus du lot. Il fait suite à une poursuite qui ressemble presque à un balet. Les autres, jusqu'au dernier lui aussi magnifique, sont expédiés assez vite et on comprend bien que ce n'est pas vraiment ce qui intéresse le réalisateur.
Il semble plus se focaliser sur les monde des senteurs, et le rapport qu'entretient Jean-Baptiste avec celui-ci. A tel point qu'il réussit à créer une véritable sympathie envers ce meurtrier qui est traité avant tout comme un artiste, un génie aux sens olfactifs démesurés. Tout le propos du film se situe dans la partie chez Giuseppe Baldini (Dustin Hoffman étonnant!), l'objectif de la vie de Jean-Baptiste Grenouille est de capter l'odeur de chaque chose, objet comme être vivant, afin d'avoir tous les ingrédients pour créer son chef d'oeuvre, un parfum qu'on attend ultime. Contrairement à l'introduction, tout le traitement des odeurs par la mise en scène tombe à plat... On ne compte pas les gros plans sur des nez, à tel point que ça devient irritant de facilité et surtout que ça ne fonctionne pas... Heureusement sur les autres aspects, Tykwer est carrément virtuose!
Mais tout passe par un choix d'acteur principal osé mais finalement inattaquable. Ben Wishaw est impressionnant, peu loquace il transporte son visage d'ange et son regard d'illuminé d'un bout à l'autre du film qui grâce à lui prend une belle dimension. L'ensemble marie donc le très bon et le moins bon... Il y a un propos étonnant sur la nature des sens et sur la quête d'un idéal, très bien traité. Mais à côté on est devant une mise en scène certes très maîtrisée, avec un film bourré de plans sublimes, mais qui en fait trop là où une certaine sobriété aurait été bienvenue. Sauf qu'on a beau y réfléchir, comment diable le sujet aurait-il pu être traité autrement?? Bref c'est parfois maladroit mais on lui pardonne, d'autant plus que le Parfum hérite d'un double final aussi inattendu que magnifique et plutôt osé vu le budget. Tykwer va jusqu'au bout et signe une des plus belles scènes vue au cinéma ces dernières années.
Un film de serial-killer pas comme les autres, viscéral, immersif et sensitif, très imparfait mais qui constitue un cauchemar fascinant du début à la fin!