Quand on porte le prénom Sergio, on a de grandes chances de faire son trou dans le western... sauf qu'on reste inconnu du grand public qui ne célébrera (et encore c'est un bien grand mot) que le plus emblématique. Ainsi dans l'ombre de Sergio Leone ont évolué entre autres Sergio Sollima (le Dernier Face à Face), Sergio Martino (Mannaja) et donc Sergio Corbucci, réalisateur touche à tout qui a abordé à peu près tous les genres avec plus ou moins de bonheur et qui a offert au western italien au moins trois oeuvres majeures, inégalées et inégalables: Django, Compañeros et le présent Grand Silence, sans doute son chef d'oeuvre (bien qu'il soit difficile de faire un choix parmi ces trois...). A tous ceux qui pensent que le western "spaghetti" est un genre mineur, voilà une des réponses qui mettent clairement les choses au point, on est ici devant du très grand cinéma, du genre qui révolutionne les choses tout en mettant une grosse claque au spectateur, tant sur le fond que sur la forme.
A première vue rien de fantastique, un héros solitaire très manichéen et au passé sombre, un méchant très très méchant... On retrouve en fait tous les codes du western, qu'il soit américain ou italien, sauf que Corbucci va complètement les tordre pour livrer une oeuvre nihiliste au possible, d'une noirceur presque jamais vue... et pour bien appuyer le contraste, aux habituels paysages désertiques et étouffants se substituent des plaines enneigées, immaculées et au froid glacial. Corbucci décide également d'utiliser une figure classique, celle du héros infirme, qu'on peut rencontrer dans le western bien sur mais surtout dans le cinéma japonais et chinois. Ici c'est un tueur implacable et muet du nom de Silence, et qui est joué par un surprenant Jean-Louis Trintignant.
Un des meilleurs acteurs français toutes générations confondues qui reprend une figure emblématique proche de celle de l'homme sans nom... c'est intéressant! En face de lui son nemesis, le monstrueux Klaus Kinski qui incarne le chasseur de primes Tigrero. A la fois à l'opposé de Silence mais qui semble aussi être son double maléfique (look très proche, attitudes similaires...), il est le mal. Effrayant car à la fois brutal, calculateur et intelligent, il semble impossible à arrêter et la mise en scène de Corbucci vient en ajouter encore avec une ambiance vraiment oppressante, des cadres souvent très serrés (d'ailleurs les plans larges semblent presque surréalistes à cause de la neige) et des mouvements parfois très rapides. Ajoutant à cela la très belle composition d'Ennio Morricone (oui je sais c'est un pléonasme) un peu étouffée et qui tient plus du thriller que du western, et on tient une ambiance jamais vue!
Véritable requiem, le grand silence possède son lot de scènes cultes, certaines immédiatement, d'autres car elles prennent une toute autre dimension lorsqu'arrive le final du film. Ainsi Silence prend un certain plaisir à amputer ses victimes avec son pistolet automatique (un Mauser, pas vraiment l'arme habituelle du cavalier solitaire!) comme pour se venger de sa propre mutilation, et comme Corbucci est plutôt un adepte des images crues, c'est assez sanglant. C'est aussi un film aux forts relents politiques, en particulier par le biais du shériff (Frank Wolff), simple exécutif envoyé à l'abattoir par le gouvernement...
Mais c'est avant tout un portrait pessimiste. On peut chercher toutes les métaphores que l'on veut, et il y en a beaucoup comme dans tout film italien de cette époque, le film s'apprécie à sa juste valeur au premier degré. En écho aux paysages enneigés le sang coule et le propos est grave. La figure du héros est complètement déboulonnée, celle de la femme dans le western également (ça préfigure Il était une fois dans l'Ouest) et il y a une dernière partie d'une noirceur jamais vue. Je ne me souviens pas d'avoir déjà vu un final aussi couillu, que ce soit dans un western ou autre... Le nihilisme au cinéma atteint ici des proportions inimaginables et nous prend par surprise car une fin comme ça même dans mes rêves les plus fous je n'imaginais pas que quelqu'un l'ose!
Rien que pour ça le Grand Silence mérite sa place au panthéon, mais l'ensemble du film le mérite... c'est un chef d'oeuvre qui prend le genre à contre-pieds de la plus belle des manière, qui va jusqu'au bout de son propos et qui quarante ans après sa sortie réussit à mettre une bonne grosse claque au spectateur, bravo!