par jean-michel » Ven 28 Aoû 2009, 21:28
A l’occasion de la sortie de Mesrine en Grande-Bretagne, The Guardian a cherché à savoir pourquoi les gangsters de cinéma étaient en France plus “moraux” et plus “chics” qu’ailleurs. Analyse.
27.08.2009 | Joe Queenan | The Guardian
( courrier international)
Le film en deux parties sur Jacques Mesrine réalisé par Jean-François Richet sort cet été en Grande-Bretagne. Les deux volets ont été rebaptisés Mesrine: Killer Instinct et Mesrine: Public Enemy n° 1 ; le premier a été bien accueilli et le second sortira le 28 août. Le critique du Guardian, par exemple, explique : “A la fin, je ne pouvais croire que deux heures s’étaient écoulées”, tant le film l’a captivé. La presse britannique dans son ensemble salue par ailleurs l’interprétation de Vincent Cassel. Le Daily Telegraph écrit même que son interprétation est si impressionnante qu’elle rend “superflue tout séjour à Hollywood” pour muscler la carrière de l’acteur.
Si une scène devait résumer l’essence du film policier à la française, on la trouverait à peu près au milieu du classique de 1954 Touchez pas au grisbi, de Jacques Becker. Serrée de près par la police, en disgrâce auprès de ses semblables des bas-fonds parisiens moins recommandables encore, le vieux virtuose du braquage joué par Jean Gabin décide de se mettre quelque temps au vert. S’installant dans un pied-à-terre secret qui prend la forme d’un appartement étonnamment chic, ce fumeur compulsif revêt un élégant pyjama sorti de nulle part avant de s’assurer que René Dary, son complice des mauvais coups, est lui aussi à l’aise dans ses vêtements d’intérieur. La leçon de cette scène est limpide : aussi précaire que soit la situation, aussi incessante que soit la traque de la police, un homme ne doit jamais renoncer à son confort, à commencer par son pyjama.
Les enjeux de qualité de vie sont une des marques récurrentes du film policier français, qui parle autant de joie de vivre* que de joie de tuer*. Qui d’autre qu’un Français pourrait faire un film (Classe tous risques, réalisé par Claude Sautet en 1960) sur un malfrat qui cherche un foyer comme il faut pour ses gamins alors que toutes les polices sont à ses trousses ? Qui d’autre qu’un Français pourrait faire un film (Rien ne va plus, Claude Chabrol, 1997) sur une artiste de l’escroquerie, incarnée par Isabelle Huppert, qui cherche à s’émanciper de son escroc de père en s’engageant dans une relation amoureuse avec un escroc plus jeune et plus séduisant, qu’elle a bien l’intention de plumer ?
Les réalisateurs français ont toujours été obsédés par les malfrats, mais leurs films n’ont pas grand-chose à voir avec ceux qui se tournent aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne. Les films de gangsters américains sont palpitants, mais manquent souvent de profondeur ; les Britanniques, eux, mettent surtout en scène des petits voyous et manquent toujours de profondeur – ce qui explique que les cinéphiles anglophones trouvent souvent les gangsters cool, mais les voient rarement comme des exemples à suivre. Les Français, en revanche, aiment les gangsters philosophes et les films offrant une analyse de la société au sens large, comme si la société avait besoin de l’expertise des réalisateurs français.
Je ne dis pas que les films policiers français sont marqués par une authentique profondeur, mais c’est en tout cas ce qu’aiment à penser les réalisateurs français. Leurs films regorgent de répliques creuses du type “les temps changent, pas les hommes” – ou encore “l’homme naît innocent, mais ne le reste pas”. Le niveau a baissé depuis Voltaire, c’est certain. Le message classiquement délivré par un film policier français est que le plus minable des hors-la-loi est tenu par un code moral qui échappe à la compréhension du citoyen lambda respectueux de la loi – et qu’à leur manière les malfrats ont plus de principes que les policiers. C’est le thème de Mesrine (réalisé par Jean-François Richet, 2008), mais aussi du classique de 1937 de Julien Duvivier Pépé le Moko, d’A bout de souffle (1960) de Godard ou encore du très remarqué Du rififi chez les hommes de Jules Dassin, sorti en 1955.
La qualité principale du malfrat de cinéma : l’ennui
L’idée d’un code d’honneur dans la pègre est l’une de ces incongruités qui, depuis toujours, passent pour de la sagesse en France, où un fond d’anarchisme de pacotille cohabite bon an mal an avec des comportements profondément bourgeois à l’égard de toute chose. Dans les films français, les gangsters ont toujours un charme étrange, sont avant tout des gars épatants qui ont perdu le contrôle de leur personnalité quelque part en chemin.
Mais, comme le cinéma ne cesse de le démontrer, les films n’ont pas besoin d’être cohérents ni logiques pour être excellents. Surtout quand ils sont aussi beaux que Le Cercle rouge (Jean-Pierre Melville, 1970), Le Samouraï (Jean-Pierre Melville, 1967) ou Pépé le Moko. Abstraction faite de leurs absurdités philosophiques, les excellents films policiers français sont remarquablement nombreux.
S’ils sont si bons, c’est parce que tout le monde veut en être : tous les réalisateurs – de François Truffaut à Claude Lelouch, en passant par Claude Sautet ou Claude Chabrol – se sont adonnés au genre au moins une fois, et les meilleurs films mettent en scène la fine fleur des acteurs français, de Jean Gabin à Jean-Paul Belmondo, en passant par Lino Ventura, Jean-Louis Trintignant, Vincent Cassel, Yves Montand, Alain Delon, Jeanne Moreau, Gérard Depardieu, plus tout une ribambelle d’acteurs magnifiques mais méconnus hors de France. Vous en avez donc pour votre argent, et cela vaut le coup.
Il serait fâcheux de conclure cet exposé sans parler de l’existentialisme et de l’ennui. Ces deux indissociables pierres angulaires de la civilisation française moderne jouent un rôle clé dans le succès de la version hexagonale de ce genre cinématographique. Avant même la théorisation de l’existentialisme, au début des années 1940, et avant même que l’ennui ne soit inventé et breveté par Jean-Paul Sartre, en 1944, les malfrats français étaient déjà souvent en proie au tourment et à un ennui profond. C’est l’ennui qui précipite Pépé le Moko vers son destin, lorsqu’il abandonne stupidement l’enceinte protectrice de la casbah pour vivre son amour pour une Parisienne aisée et sophistiquée. C’est l’ennui qui conduit au désastre l’étincelant mais effacé Delon, aussi bien dans Le Cercle rouge que dans Le Samouraï. L’ennui, encore, qui laisse Belmondo mort sur le pavé parisien à la fin d’A bout de souffle. Vivre chaque jour comme si c’était le dernier, mais le faire sans enthousiasme, tel est le cocktail de presque tous les films français que j’ai vus. Le seul film policier français dont je me souvienne dans lequel tout le monde semble déborder d’énergie est La Balance, récompensé par une avalanche de césars en 1983. Mais La Balance a été réalisé par Bob Swain – un Américain.