Dans ce film, Kate Winslet est Hanna Schmitz, une femme de 36 ans qui initie aux jeux de l'amour un adolescent auquel elle a caché son passé de criminelle de guerre nazie. «C'est une histoire d'amour complexe ainsi qu'une odyssée dans l'Allemagne d'après-guerre, sans rédemption ni pardon», confie le cinéaste anglais Stephen Daldry. Actuellement à New York, celui-ci surveille la production de la comédie musicale Billy Elliot inspirée de son film et composée par son ami Elton John, à l'affiche depuis novembre dernier à Broadway.
. - Quand avez-vous découvert Le Liseur de Bernhard Schlink ?
Stephen DALDRY. - Il y a trois ans, lors d'un voyage en train. Je l'ai lu d'une traite et il m'a si profondément bouleversé que j'ai immédiatement souhaité le porter à l'écran. J'ai découvert que mon ami Anthony Minghella en avait acquis les droits avec son associé Sydney Pollack et qu'il tenait à le réaliser.
Et alors ?
J'ai fait le siège de leur maison de production et, par bonheur, je suis arrivé à mes fins. Anthony Minghella développait de nombreux autres projets et ne trouvait pas le temps de s'atteler à ce film malgré le désir impérieux qu'il en avait. Alors, se sentant responsable vis-à-vis de Bernhard Schlink, m'a finalement laissé l'adapter avec mon complice, le dramaturge et scénariste David Hare avec lequel j'ai travaillé sur The Hours et de nombreuses pièces de théâtre. Nous fonctionnons comme un vieux couple ! Hélas, ni Minghella ni Pollack, tous deux décédés en 2008, n'auront vu le film.
Bernhard Schlink, professeur de droit, juge et romancier, laisse planer le doute à propos du Liseur. Dans quelle mesure cette œuvre est-elle autobiographique ?
À l'invitation de Bernhard Schlink, David Hare et moi nous sommes rendus à Heidelberg. Sur les traces de son héros, le jeune Michael Berg. Le romancier nous a fait visiter sa ville, nous montrant la maison de son enfance, le chemin qu'il prenait pour aller à l'école, l'endroit où avait vécu Hanna… Il y a donc beaucoup d'éléments du récit qui sont, de toute évidence, autobiographiques. Mais a-t-il eu adolescent, comme Michael, une histoire d'amour dans l'Allemagne d'après guerre, avec Hanna, une femme de 36 ans, dont il apprend plus tard, par hasard, qu'elle a été une gardienne de camp nazi ? Cela, il ne le dit pas.
Parce que vous lui avez demandé ?
Bien sûr ! Et à plusieurs reprises. Mais il ne m'a jamais répondu.
Que pensez-vous de son silence ?
Je ne sais pas. Et finalement peu m'importe. C'est son secret.
C'est Nicole Kidman qui, au départ, devait interpréter Hanna…
Nous avions tourné un tiers du film lorsqu'elle a appris qu'elle était enceinte et ne pouvait donc prendre le risque de venir nous rejoindre sur le tournage. Mais la vie fait finalement très bien les choses. À l'origine, j'avais demandé à Kate Winslet d'incarner Hanna, mais, à l'époque, elle n'était pas libre. Et c'est à elle que Bernhard Schlink pensait également.
Comme le livre, le film traite de la culpabilité collective après la guerre.
Pour la génération de Bernhard Schlink qui est né en 1944, cette question est cruciale. Michael l'exprime très bien dans le roman, « sur le banc des accusés, nous mettions la génération qui s'était servie de ces gardiens et de ces bourreaux, ou qui ne les avait pas empêchés d'agir, ou qui ne les avait pas rejetés, au moins, quand elle l'aurait dû après 1945 : c'est elle que nous condamnions, par une procédure d'élucidation du passé, à la honte ».
Le malaise et la force du Liseur viennent du fait que Bernhard Schlink évite toute notion de rédemption ou de pardon.
Il est impossible de pardonner Hanna. Chacun des choix de son existence est lié à son lourd secret, l'illettrisme. Gardienne de camp à Auschwitz, elle ne portera aucun secours, lors d'un convoi, à des déportées enfermées dans une église en feu. Elle n'ouvrira pas les portes et laissera ces femmes brûler vives. La machine infernale du génocide implique des gens ordinaires qui commettent des crimes impardonnables. C'est la banalité du mal.
Dès sa parution le roman est devenu un best-seller tout en déclenchant une polémique en Allemagne.
Bernhard Schlink parle des bourreaux et non des victimes, il y a inévitablement controverse. Et puis, on éprouve à l'égard d'Hanna, criminelle de guerre nazie, des sentiments diffus et ambigus. Après le procès et sa condamnation à perpétuité Michael espérait, en lui apprenant à lire, lui faire prendre conscience de ses actes, qu'elle ait des remords. Mais, même emprisonnée, elle en est incapable. Et c'est sa tragédie. Dans le film, elle dit «peu importe ce que je ressens, peu importe ce que je pense, ça ne ramènera pas les morts».» Les raisons d'un succès en librairie