Miami Vice, ou comment transformer une série TV des années 80, symbole de la cool attitude en une œuvre définitive, un monument qui prouve une fois de plus que Michael Mann est un des plus grands réalisateurs contemporains. Par la même occasion il démontre que l’une des théories irréfutables du cinéma (pas de bon film sans bon scénario) ne s’applique pas forcément à son travail. Car comme Collateral avec son histoire bateau magnifiée pour en faire un film très fort, le point fort de Miami Vice n'est pas son scénario, convenu et sans surprise. Le charme ne vient pas non plus son duo d’acteurs, la paire Colin Farrell/Jamie Foxx faisant pitié après avoir réuni sur une même affiche Robert De Niro et Al Pacino au meilleur de leur forme. D’autant plus que l’un comme l’autre ont déjà eu de bien meilleurs rôles (le Nouveau Monde et Ray) que ceux de 2 flics des stups à Miami… et pourtant !
Pourtant malgré ces défauts qui handicaperaient n’importe quel réalisateur, Mann réussit l'impossible, en magicien de l’image! Il faut dire que de la part de celui à qui on doit déjà Heat (peut-être le plus beau polar de l’histoire), Ali (le seul vrai bon rôle de Will Smith et un le meilleur biopic jamais tourné), Révélations (son meilleur film), le Dernier des Mohicans, Collateral et Manhunter, ça n’est pas vraiment une surprise !
Une caractéristique de l’œuvre de Mann est que c’est un réalisateur qui affectionne particulièrement de revenir sur ses travaux, ainsi on ne compte plus les director’s cut et versions alternaives de ses films, Miami Vice n'échappe pas à la règle...
Ainsi son téléfilm L.A. Takedown est un véritable brouillon de Heat avec des scènes reprises à l’identique et donc Miami Vice, série TV qu’il a produit et porté avec passion suite à l’échec de son premier long métrage, et qu’il revisite pour le cinéma quelques 20 ans plus tard ! Miami Vice la série c’était le fun avant tout, les années 80, les flics habillés en costume Armani, T-shirt et mocassins au volant d’une Ferrari Daytona 365 ou d’une Testarossa blanche (!), c’est le playboy Don Johnson et Philip Michael Thomas, c’est in the air tonight de Phil Collins, c’est la plage, le soleil, les superbes filles… ça sent bon la détente. Miami Vice le film c’est un autre monde… en partie. Dans le film le playboy devient un bad boy (Colin Farrell, symbole d’auto-destruction), les tenus sont bien dans les années 2000, l’action se passe en majorité la nuit, la ville est le troisième personnage principal… mais Sonny roule toujours en Ferrari et on entend une reprise rock plutôt réussie d’in the air tonight. Nostalgie quand tu nous tient…. Mais au jeu des comparaisons ça s’arrête là, tant le film prend une dimension supérieure à la série, et ce dès l’intro.
Michael Mann annonce vite la rupture, avec la série bien sur, mais également avec ce qu’a l’habitude de voir au cinéma un spectateur basique de blockbuster estival. Car Miami Vice a été vendu à sa sortie comme un gros film tout public, normal car le budget énorme (150 millions de dollars) devait être rentabilisé, ça a été une erreur terrible car le spectateur lambda du mois d’août ne s’attendait pas à ça et le film a été un échec… Pas assez d’action, c’est le reproche qui a été fait, mais comme quelqu’un qui aime le cinéma de Mann n’est pas forcément un spectateur moyen, il sait ça n’est pas du Tony Scott (avec toute l’affection que je lui porte) et pourtant c'est le choc! Miami Vice, version salles, commence sans générique par la scène dans la boîte sur du Linkin Park, les habitués des guitares hyper saturées, des longues notes limites interminables qui faisaient le charme des précédents films du réalisateur sont perdus…
Mais le charme opère vite, impossible de quitter l’écran des yeux tant la maestria de Mann est grande. Et ce qui aurait pu être le naufrage artistique d’un réalisateur de génie (production difficile avec des catastrophes naturelles, remplacement du staff, l’overdose de Colin Farrell, les problèmes d’ego des acteurs principaux, la pression énorme du public, la déception en salles…) devient un des meilleurs films policiers américain depuis Heat !
Michael Mann transforme l’œuvre de base en continuant ses expérimentations à la caméra HD, qu’il maîtrise parfaitement depuis Collateral, ce qui donne au film un cachet unique, une esthétique de documentaire au grain très prononcé où le ciel devient violet quand la nuit tombe, où les corps prennent des couleurs verdâtres et où le spectateur est immergé. Il en profite pour insérer plusieurs de ses thématiques : une histoire d’amour tragique comme dans le dernier des mohicans, des excès de violence soudains comme dans le solitaire, une frontière invisible entre le bien et le mal comme dans Heat… Certains y verront un réalisateur qui se repose sur des réussites passées... J’y vois une volonté de faire du grand cinéma. Un cinéma d’esthète, efficace, violent, réaliste et inspiré.
Les scènes d’anthologie s’accumulent, qu’elles soient impressionnantes comme les 2 grosses fusillades (la première qui s’apparente plus à une exécution est d’une violence inouïe, filmée de la banquette arrière d’une voiture, les corps des passagers sont carrément déchiquetées) ou fugaces comme des regards de Farrell à travers une vitre, des échanges remplis d’émotion entre les 2 flics, ou encore 2 scènes d’amour auxquelles on croit, loin de ce genre de scènes aseptisées qu’on a l’habitude de voir sur grand écran.
Au niveau de l’interprétation, Farrell et Fox jouent juste même s’il manquent cruellement d’expressions, mais leurs rôles n’en demandent pas forcément, mais c’est surtout Gong Li qui porte le film. Ses apparitions sont autant de moments magiques. Sa beauté hante la totalité du film, son personnage calculateur qui finit par se laisser dominer par son désir et par l’amour est de loin le plus complexe de tous, le plus dramatique aussi. Le reste du casting est excellent avec en tête John Ortiz qui campe un José Yero froid et sadique.
S’il n’a pas rencontré le succès qu’il mérite, Miami Vice reste une immense réussite, excellent polar et exercice de style fascinant, il fait partie de ces films qu'on peut revoir en boucle si on accroche. Et la Director's Cut est cette fois un plus, car même si le rythme y est un peu moins soutenu, la relation entre Colin Farrell et Gong Li y est encore plus belle.