La nouvelle comédie avec Eric et Ramzy... Bien en évidence en haut de l'affiche c'est le genre de phrase qui aurait pu me faire fuir, La Tour Montparnasse Infernale c'est plutôt énorme mais entre les Daltons et Double Zéro c'est quand même parmi les comédies les moins drôle de ces dernières années! Donc à priori aucune raison valable de se lancer dans la vision de ce Steak, si ce n'est le nom du réalisateur. Quentin Dupieux on ne connaît pas forcément, en cherchant un peu on se rend compte que c'est son second long métrage... après Non Film, un truc complètement barré! Mais Dupieux on le connaît tous sous son pseudo de Mister Oizo, son immense succès en 1999 et les pubs pour Levi's qu'il a réalisé (toujours avec la marionnette Flat Eric). Et bien son dernier film, même s'il se traîne une réputation abominable, c'est une bombe atomique. Un truc complètement fou, décalé, triste, très méchant... Une excellente surprise!!!
On nous balance d'entrée dans un lieu qui ressemble à l'image qu'on a d'une petite ville des États-Unis, cette image toute propre et fantasmée que martèlent tous les sitcoms et teen movies. Le message est plutôt clair, le film va s'intéresser à ce gros mensonge qu'est l'apparence, l'image que l'on donne, de soi-même ou de son univers... Pas vraiment ce qu'on s'attendait à voir dans une "comédie avec Eric et Ramzy"... d'ailleurs le film s'ouvre sur Ramzy seul, dans une succession de scènes grinçantes mais qui ne tombent jamais ni dans la moquerie ni dans le glauque. Dupieux va citer explicitement le fantôme de la liberté de Buñuel pour cet évènement ridicule et anodin qui va pourtant être le déclencheur du récit mais aussi, dans une très belle scène, Elephant de Gus Van Sant... Et on se rend bien compte que pour la première fois, avec le duo comique à l'écran, on est en face d'un vrai film, d'auteur et qui plus est engagé!
Si le film est drôle, c'est un humour vraiment à part, extrêmement noir. Il ne faut pas s'attendre à des gags faciles ou ce genre de choses habituelles. Steak s'inscrit dans une veine de cinéma d'anticipation assez rare en nous plongeant dans un futur très proche, très ancré dans notre réalité aussi... en fait on pourrait presque y voir une extrapolation à l'extrême de notre société. En effet, une société calquée sur le modèle "idéal" US, le besoin vital d'atteindre une forme de perfection physique avec un recours systématique à la chirurgie esthétique, le désir d'appartenir à une pseudo élite dénigrant le reste de la populace ne sont-ils pas des maux qui sont en train de mener notre société droit dans le mur? Le constat est triste et prend presque la forme d'une métaphore chez Dupieux, mais il est complètement dans le vrai... malheureusement...
Sur le fond Steak est donc très loin de la comédie potache à voir entre potes et qui peine à nous faire décrocher un sourire. C'est un film qui a quelque chose à dire et qui le dit très bien, en usant de vrais artifices de cinéma. Mais en lançant un tel pavé dans la marre, le risque était immense de perdre un public qui était venu voir autre chose, un public qui n'était pas venu pour réfléchir, qui était venu rire bêtement et qui se retrouve en face d'un film très pessimiste sur notre avenir et qui en plus ne donne pas toutes les clés au spectateur, et joue à travestir tous les codes du cinéma pour créer son propre langage: une scène comique en plan séquence, créer le rire en partant d'une scène douloureuse en y ajoutant une musique tellement folle et dépressive qu'elle en devient hilarante... On se sent souvent mal devant ce film, à rire de séquences très cruelles...
S'il faut chercher des modèles pour Quentin Dupieux, c'est du côté de Cronenberg ou de Lynch qu'il faut regarder... pour cet humour décalé, ce climat opressant, la ville typiquement lychienne... en l'étudiant en détails Steak regorge de richesses cinéphiles!
Et pourtant il y a Eric et Ramzy... et franchement qu'on aime ou pas leur humour, ici c'est autre chose. Il ne partagent que peu de scènes et montrent des talents d'acteurs insoupçonnés, très loin de leurs images de bouffons!!! Citer des scènes serait inutile, ils illuminent l'ensemble du film et Ramzy réussit l'exploit de rendre un visage complètement bandé presque plus expressif qu'un visage nu... Franchement ils sont tous les deux excellents et ils éclipsent presque un casting très intelligent, avec entre autres les très bons Sébastien Tellier et Jonathan Lambert.
Très très bonne surprise alors que je n'aurais rien misé dessus, Steak est une oeuvre qui ne ressemble à aucune autre, un film complètement décalé, au ton vraiment méchant et qui fait rire jaune... Très fort!
Chivers!!