Parfois quand on se penche sur des films du passé, on ne peut qu'être dégoûté par la tournure qu'a pris le cinéma français. Le Deuxième Souffle vient tout droit d'une époque formidable, une époque où nos réalisateurs étaient inspirés, où la comédie potache n'était pas LE genre par excellence, où le cinéma d'auteur avait quelque chose à raconter... Et surtout une époque où notre cinéma était respecté, et même plus que ça car il était un modèle. Aujourd'hui la tendance s'est inversée, les bons films français sont rares et on peut se demander s'ils survivront à l'épreuve du temps comme ce chef d'oeuvre de Melville qui n'a pas pris une ride alors que Corneau en a fait un remake il y a peu (accueilli froidement malgré une belle distribution). Le Deuxième Souffle est un modèle de polar, un très grand film qui ne perdra jamais son aura et qui marqua un tournant dans la carrière de l'homme au Stetson....
En effet, jusque là, y compris dans le Doulos, Melville inscrit son cinéma dans une sorte de classicisme issu soit du cinéma français soit du cinéma américain (le film noir en particulier pour le film pré-cité). Avec le Deuxième Souffle il aborde un changement radical qui en fait un film à part car il comporte les stigmates de son oeuvre passée et les prémices de son oeuvre future. Considéré comme faisant partie de ses "films d'hommes" avec le Doulos, le Samouraï et le Cercle Rouge, le Deuxième Souffle reste avant tout, dans le fond, un pur film de gangsters. Et c'est un film qui entre en plein dans les grandes thématiques pessimistes melviliennes, à savoir l'isolement, la mort et une tendance à l'échec.
Premier signe d'être en face d'un film différent, l'ouverture, une évasion. On ne sait rien, ni qui sont les personnages ni comment ils se sont retrouvés ensemble, quand l'un des trois meurt la violence est sourde, froide, sans sentiment... toute la suite va suivre ce schéma. On ne saura jamais rien des relations passées entre tous les personnages même si les liens sont évidents. Qu'ont vécu Gu et Manouche? A quel point Gu et Alban sont fidèles? Blot a t'il déjà eu affaire à eux par le passé? Qui était véritablement Jacques le notaire? Melville n'a pas besoin de nous donner ces réponses, libre à chacun de se faire son propre background... Il filme l'instant présent, l'urgence, la peur, le parcours de Gu vers une mort certaine et sa peur de bête traquée qui se transforme en résignation et en véritable motivation pour vivre jusqu'au bout son idéal criminel.
Avec ce film Melville entame une révolution stylistique flagrante et tend déjà vers l'épure totale dans sa mise en scène qui caractérisera Le Samouraï et Un Flic. Il fait de ces gangsters des icônes avec une facilité déstabilisante tant il n'utilise aucun artifice. Tout semble naturel, la mise en scène est d'une précision terrible, rien n'est superflu... ces figures seront encore exagérées par la suite et deviendront des modèles pour plusieurs générations de réalisateurs de polars qui ne s'en remettront jamais. Pour citer ceux chez qui c'est le plus flagrant, John Woo et Johnnie To dont le style bien que plus travaillé se rapproche beaucoup du cinéma de Melville. Des cadrages magnifiques qui viennent souvent isoler les personnages, de longs moments d'attente libérés de tout dialogue pour un film de presque 2h30 qui semble défiler à toute vitesse... c'est impressionnant!
Et il y a ce casting incroyable!!! Au centre Lino Ventura qui électrise chaque séquence, figure taciturne qui annonce le samouraï incarné par Delon, sorte de mythe redouté par tous et qui ne s'écarte à aucun moment de son parcours ou de son destin tout tracé... Son regard, la plus anecdotique de ses phrases sont des moments inoubliables. En face de lui un grand Paul Meurisse qui entre dans le film par un monologue incroyable, même si son personnage de flic n'est pas impliqué dans le déroulement du récit il y est le détonateur pour chaque évènement. On trouve aussi Raymond Pellegrin, excellent, Christine Fabrega dans un personnage qu'on peut voir comme une sorte de femme fatale issue du film noir US ou encore Michel Constantin en Alban, l'homme de main philanthrope... Quelle belle brochette d'acteurs! On n'en fait plus des comme ça...
Le Deuxième Souffle n'a pas volé son statut de classique. Aujourd'hui encore la mise en scène fait preuve d'une modernité étonnante, il n'a pas vieilli d'un poil. Polar emblématique comme on n'en verra sans doute plus jamais car réunir d'aussi bons scénaristes, acteurs et réalisateurs aujourd'hui c'est impossible, ce talent là n'existe plus en France.
C'est un grand moment de cinéma, ultime, un chef d'oeuvre.