En 2003 avec OldBoy et son grand prix au festival de Cannes (à défaut d'une palme d'or largement méritée) le grand public découvrait ce grand metteur en scène coréen et même s'il en a déçu plus d'un par la suite, à cause d'un Lady Vengeance faiblard et d'un Je suis un Cyborg excellent mais qui ne correspondait pas aux attentes du public international, il n'y a qu'à voir à quelle vitesse s'est propagée la bande annonce de son dernier film, Thirst, pour bien se rendre compte de l'importance du bonhomme...
Sauf que Park Chan-Wook n'est pas né avec OldBoy, avant il y a eu Sympathy for Mr Vengeance, une bombe, et encore avant ce JSA, qui fait suite à deux long métrages soit disant très mauvais et difficiles à voir aujourd'hui (Saminjo et Moon is the sun's dream)... ce n'était donc en aucun cas un débutant! Et avec JSA il signe clairement son premier très grand film!
Déjà simplement avec son sujet, on trouve son goût pour l'originalité qui en fait un réalisateur à part. En s'attaquant de front à l'une des plus grandes bêtises et un des plus gros gâchis de l'histoire de l'Asie (la division de la Corée) il signe à la fois une satire évidente et corrosive de la situation, en particulier au niveau de la frontière, et bien entendu il pousse un cri de désespoir, le même que pousse une grande partie du peuple sud coréen qui ne peut avoir aucune relation avec les frères et soeurs du nord... malheureusement si la guerre froide est finie, certaines conséquences désastreuses sont toujours d'actualité...
C'est donc avec un ton cynique bien dissimulé pour ne froisser personne qu'il nous offre cette histoire insolite, une histoire d'amitiés entre des hommes qui n'auraient jamais dû se rencontrer (alors qu'ils passent toutes leurs journées à quelques mètres les uns des autres), une amitié tellement simple, presque enfantine, qu'elle touche forcément. Même si la tension liée à un patriotisme stupide mais tenace n'est jamais bien loin, ces gars là vont s'amuser, toutes les nuits, des jeux stupides mais leurs échanges sont aussi émouvants quand ils découvrent la patrie des autres. Vu comme ça le film peut paraitre sans grand intérêt sauf que dans sa construction il est en tout point parfait! Ces tranches de vie nous sont dévoilées car comme point de départ il y a un drame, une fusillade qui a failli dégénérer... et le film est construit selon un plan que reprendra John McTiernan dans son sous-estimé Basic, on va découvrir ce qui s'est passé avec les yeux de chaque personne interrogée... mensonges inclus.
Pour réussir ce coup-là il fallait un scénario sans faille et c'est le cas. Ca fonctionne sur tous les niveaux et il réussit à nous surprendre, du grand art! Les personnages sont tous très travaillés, se dévoilent au fur et à mesure et on ressent de plus en plus de sympathie pour ces soldats qui n'ont pas oublié qu'ils étaient des êtres humains avant tout. La confrontation finale est d'autant plus glaçante qu'elle remet les choses dans leur contexte politique, à savoir que les coréens du sud, en particulier les militaires, se doivent de haïr ceux du nord... et vice et versa... Le final du film est terrible, d'une force phénoménale, sacré tour de force!
Et au niveau mise en scène il n'y a aucun doute, c'est bien du Park Chan-Wook! Ce réalisateur possède un véritable talent pour composer ses plans, d'une beauté rare que ce soit pour les manoeuvres militaires, les gunfights (éprouvants) ou les scènes plus intimistes. Il se dégage de l'ensemble une réelle émotion et même si on a à peu près toutes les cartes en main dès le début, le dénouement est tragique, très noir...
Et les acteurs sont formidables! On retrouve Song Kang-ho (Secret Sunshine, Memories of Murder, The Host...) en haut gradé nord coréen, Lee Byung-hun (A Bittersweet Life, Le Bon, la Brute et le Cinglé) et Shin Ha-kyun (Sympathy for Mr. Vengeance, Save the green Planet...) qui sont tous absolument parfaits.
Donc avant sa trilogie de la vengeance, Park Chan-Wook avait déjà largement fait ses preuves par rapport à son talent de metteur en scène et de conteur d'histoires, JSA est une grande réussite qui ne possède aucun réel point faible à mes yeux, le fond et la forme sont en parfaite harmonie pour un résultat définitivement d'un très haut niveau.