Derrière ce titre français issu de la période des films post-apocalyptiques italiens, complètement ringard aujourd'hui en plus d'être hors sujet (mais faut voir les autres titres qu'il se paye de part le monde aussi: Island of the damned, Lucifer's Curse, Island of Death...), se cache une vraie perle, une des plus belles réussites de l'histoire du cinéma de genre européen, un film qui malgré son âge conserve son pouvoir déstabilisant. Car même si aujourd'hui le spectateur lambda a plus ou moins l'habitude de voir des atrocités sur son écran de TV, le film de Serrador ne joue pas la surenchère gore (un peu comme Massacre à la tronçonneuse, le film se traîne une réputation d'objet gore qui n'a pas lieu d'être et qui n'est véhiculée que par les imbéciles qui parlent d'un film sans l'avoir vu), ni l'horreur basée sur des peurs primales, il installe dès les premières images un malaise durable, une peur qui nous contamine de plus en plus mais de façon globale, jamais par à-coups comme le cinéma d'horreur a l'habitude de le faire.
Pourtant tout commence assez bizarrement, par un générique qui nous montre des images d'archives de divers conflits sur à peu près tous les continents, mettant en avant le sort que subissent à chaque fois les enfants, qui sont toujours les premières victimes des guerres (avec les personnes âgées). Un brin trop didactique et moralisateur, ce générique nous met dans une situation inconfortable qui durera jusqu'à la fin. C'est dommage car l'effet n'est sans doute pas voulu... on comprend bien sur que le but est de sortir le film du simple cadre de la fiction mais la scène dans un magasin revient dire la même chose en moins long et plus efficace.
On a droit ensuite à une longue exposition qui prend tout son intérêt quand on voit le film dans sa version originale, à savoir en anglais (VO absente du DVD français mais présente sur l'édition Dark Sky) car elle vient souligner que le couple de personnages principaux sont des étrangers, la femme ne parlant pas un mot d'espagnol. L'idée est de les placer dans un environnement qui n'est pas le leur afin d'exacerber leur caractère, en particulier celui de la femme pleine de préjugés (les italiens sont des fascistes...) et d'en faire clairement des intrus. Les références fusent: les Oiseaux d'Hitchcock, Jaws de Spielberg, Rosemary's Baby de Polanski... Serrador est suffisamment habile pour ne pas tomber dans la copie et se réapproprie ces modèles afin de livrer un travail purement personnel qui n'a rien à envier à ceux qui sont cités.
Et dès lors qu'ils arrivent sur l'île, que plusieurs indices plus ou moins flagrants leur avaient déconseillés de visiter, le changement est assez brutal. Les enfants semblent différents du continent... S'ils jouent comme des enfants "normaux", il y a quelque chose dans leur regard qui dérange, tout comme leur refus du dialogue... Les choses vont s'éclaircir peu à peu pour nous alors que le couple va plonger dans l'incompréhension, le denis puis la peur. Par petites touches Serrador va nous faire découvrir les attaques des enfants... d'abord leurs conséquences au détour d'un plan dans la superette du coin, puis hors champ jusqu'à ce qu'on y assiste en direct.
Ce qui étonne ce n'est pas tant de voir des enfants tueurs... On en a vu beaucoup au cinéma et le plus impressionnant restera pour moi Damien dans la Malédiction de Donner. Mais ici on surfe sur une trame réaliste, le fantastique est quasiment absent (il n'y a bien que la façon dont les enfants réussissent à convaincre les autres qui cède au fantastique). Le doute est également permis lors de la fausse couche d'Evelyn... le bébé est-il en train de la tuer ou est-ce un accident?
Les enfants restent avant tout des enfants dans leurs activités, aussi sordides soient-elles. Le meilleur exemple restera la scène de la piñata en écho à celle du début mais qui prend ici une toute autre tournure, d'une cruauté sans nom.
A partir d'un moment difficilement identifiable le film prend une nouvelle dimension et s'inscrit dans une voie assimilable au survival. La façon dont le couple voit les enfants change du tout au tout très rapidement et ils s'engagent dans une fuite devenant les proies de ces enfants bien décidés à éliminer tous les adultes, n'éprouvant aucun sentiment sauf quand l'un d'eux est tué... quand le titre prend toute sa signification...
Car à la question "peut-on tuer un enfant?" Serrador y répond dès le générique, oui. Mais il y a une différence fondamentale entre la mort d'enfants pendant une guerre et un meurtre de sang froid d'un adulte face à un enfant. Et quand Tom passe à l'acte plus aucune marche arrière n'est possible. On sent bien qu'il n'y a aucune issue pour le couple, le seul espoir à l'autre bout de l'île est vite anéanti avec à la clef une des plus belles scènes du film quand tous les enfants apparaissent sur la colline.
D'un point de vue mise en scène, c'est très original pour l'époque car l'horreur nous est présentée en plein jour à la limite de la surexposition, ce qui vient renforcer l'idée de cette horreur à la limite du réalisme. On retiendra aussi cette image, la plus connue du film, qui voit une caméra au sol avec Tom, un fusil à la main, qui fait face au groupe d'enfants...
Voilà un film qui n'a pas volé sa réputation. Le message est horrible, nous met face à une situation qui serait impossible à gérer et extrêmement malsaine: Si les enfants prenaient le pouvoir et décidaient d'éliminer les adultes... Le final est à l'image du film, surprenant et dérangeant. Le refus de sélectionner ce film au festival de Cannes à l'époque n'aura heureusement eu aucune incidence sur son image, ni les diverses interdictions. C'est une des plus grandes réussites du cinéma de genre européen (quel genre c'est une autre question...) et un modèle pour les générations suivantes dans le cinéma espagnol.