Dès la séquence d'ouverture, un enivrant plan séquence qui suit la belle Shu Qi de dos dans un tunnel, la caméra semblant respirer avec elle, le ton du film est donné. On va ainsi naviguer pendant toute la durée de l'oeuvre entre rêve et réalité. HHH abolit toute notion de temps ou de lieu (les quelques indices qu'il nous donne se voient parfois contredits par les images) pour un film qui va faire l'économie de dialogues mais qui va pourtant dresser le portrait d'une jeune fille complexe, magnifique et hypnotisante, un film qui se vit comme un voyage dans une communauté où les gens ne se comprennent finalement pas, et un regard sur un pays en plaine mutation, Taïwan. Et pour représenter ce rêve, qui pouvait-il mieux choisir que celle qui, avant d'être la chinoise de service du Transporteur, était LA plus grande icône érotique d'Asie?
Le film peut déstabiliser le spectateur car finalement il ne se passe pas grand chose, ou du moins il n'y a pas de trame scénaristique précise... Ce sont plus des instantanés, des moments de vie mis les uns au bout des autres. En résulte une oeuvre quasi hypnotique (que certains qualifieront de "chiant" j'en suis sur), un voyage à la frontière du rêve... car si ce qu'on voit à l'écran parait bien réel, les couleurs utilisées sont à la limite du surréaliste! Arc-en-ciel permanent, on pense beaucoup au cinéma de Wong Kar Wai pour l'utilisation et le mélange de ces teintes, mais la comparaison s'arrête là car HHH ne fait pas dans l'expérimentation formelle au niveau des mouvements de caméra et des effets de montage.
Constitué uniquement de longs plans séquences d'une beauté époustouflante, Millennium Mambo se veut un regard 10 ans plus tôt sur une jeunesse envolée, une jeunesse difficile, nocturne, faite de drogue, tabac, alcool et disputes... un trio amoureux dans lequel chaque protagoniste va s'isoler progressivement, chacun créant son échappatoire illusoire: la clope et l'alcool pour Vicky, la drogue et la musique pour Hao Hao, les activités illégales pour Jack, se dernier étant pourtant une bouffée d'oxygène pour Vicky, pendant un temps seulement... le seul vrai moment de bonheur c'est cette escapade au Japon, un retour en enfance sous la neige ou les plaisirs simples se partagent devant des affiches de cinéma...
Tout le film est dévoué à l'image de son interprète principale, Shu Qi que la presse internationale découvrait seulement. Elle porte le film sur ses épaules, l'électrise, le contamine de sa mélancolie... Car Millennium Mambo est un film mélancolique, nostalgique, à l'image des autres films de HHH sans être pessimiste c'est très triste. Ces images qui ne sont que des souvenirs de Vicky, narratrice via la voix off persistante. Sa jeunesse lui semble tellement lointaine qu'elle parle d'elle à la troisième personne, comme si cette jeune fille insouciante et pourtant enfermée dans une vie qui ne lui convient pas n'était qu'une étrangère...
Comme il est un grand directeur d'acteurs, HHH permet à chacun d'être parfait dans son rôle. Aux côtés de Shu Qi, Jack Kao (Full Alert, les fleurs de Shanghai, Time and Tide...) est magnifique en gangster, et Tuan Chun-hao joue un amoureux jaloux, possessif et pourtant distant très complexe...
Millennium Mambo ne se regarde pas comme un film ordinaire, c'est une expérience sensorielle inédite qui nous transporte dans le passé et nous fait vivre toute une gamme d'émotions. C'est un film magnifique, aussi bien visuellement que dans son sujet, une jeunesse désespérée sur laquelle on se retourne pourtant avec tendresse et mélancolie... C'est très beau et envoûtant, comme la musique qui l'accompagne.