Le dernier film du réalisateur, AntiChrist, sort en salles dans quelques semaines après avoir défrayé la chronique avec à la clé un prix d'interprétation à Cannes pour Charlotte Gainsbourg, c'est une bonne occasion pour se plonger dans l'oeuvre de ce danois complètement fou, qui aura lancé un mouvement d'hyper réalisme au cinéma (le dogme... génie ou arnaque?), et qui à chaque film est attendu comme un messie... Element of crime est son tout premier long métrage, après toute une flopée de courts et un film de fin d'études (Befrielsesbilleder, qui aura même droit à une projection à la Berlinale de 1984!).
Comme beaucoup de premiers films de grands réalisateurs, Element of Crime fait plus que flirter avec le cinéma expérimental, privilégiant souvent la forme au fond qu'il faudra déchiffrer tant chaque image peut être analysée pendant des heures... un film très difficile d'accès dans lequel se marient une enquête policière façon film noir, une hypnose et des images surréalistes. L'expérience est belle mais on peut facilement y être hermétique... d'autant plus que son film se rapproche des travaux d'un autre artiste aussi passionnant que difficile à saisir, Andrei Tarkovski...
Il faut savoir que le film est le premier d'une trilogie thématique consacrée à l'Europe, ou plus précisément à "la dégénérescence et la putréfaction d'un vieux continent", ce n'est donc pas vraiment un spectacle réjouissant auquel il nous invite... enfin inviter est un bien grand mot tant Von Trier semble oublier complètement le pauvre spectateur qui essaiera pendant 1h40 de trouver un sens à tout ce qui se passe devant ses yeux, en vain bien entendu, c'est là tout l'intérêt du cinéma expérimental! Très franchement, ce film est un objet indéfinissable, hypnotique, cauchemardesque, duquel émergent quelques idées que l'on peut s'amuser à creuser et qui révèlent un véritable message mais c'est un film très difficile à voir dans les bonnes conditions au risque de crier à l'arnaque!
Et ce ne sont pas les partis pris esthétiques qui aideront à accepter l'oeuvre... en effet Von Trier troque le noir & blanc expressionniste du film noir (alors qu'il en conserve bien des codes!) contre des couleurs ocres, voir même carrément oranges qui agressent vite la rétine...
Avec tout ça on peut se dire qu'il en faut de l'indulgence pour y voir un film important, mais pour bien comprendre il faut faire ce voyage dans l'esprit d'un profiler avant l'heure... Les images qu'on nous montre et qui semblent provenir des plus belles oeuvre du surréalisme, de Jodorowsky à Arrabal sont bien entendu des représentations du chaos mental qui habite ce détective (Michael Elphick extraordinaire, comme sorti d'un film d'Orson Welles), ces personnages au crâne rasé symbolisent la vision d'horreur pour Von Trier de la monté du néo-nazisme en Europe, une Europe qui devant sa caméra ressemble tout simplement à l'enfer...
Tout y est, la couleur, le puit qui représente le passage, la chaleur insupportable, les atrocités que commet ce meurtrier mystérieux... Et cet enfer Fisher le crée bien malgré lui en rentrant dans l'esprit torturé d'Harry Caine, en essayant de le comprendre pour le retrouver, il va finalement devenir cette incarnation du mal... Lars Von Trier frappe vraiment très fort avec ce premier film, les images toutes plus abstraites et symboliques les unes que les autres aboutissent à un ensemble d'une beauté formelle presque hypnotique, et finalement cette enquête policière n'est qu'un prétexte à des réflexions bien plus profondes, parfois évidentes, parfois inaccessibles au premier coup d'oeil.
Ce qui est certain c'est qu'il signe là une oeuvre atypique, un de ces labyrinthes mentaux qui peuvent alimenter des heures et des heures de discussions sans jamais vraiment réussir à percer tous les mystères. Qu'on aime ou pas, il s'agit d'un des films les plus énigmatiques de ces 30 dernières années, rien de moins.