3 ans à attendre pour pouvoir enfin voir ce film en France! La faute à une projection au festival de Cannes 2006 catastrophique, le film s'est fait descendre par l'ensemble de la critique... le résultat a été un remontage, une sortie sur les écrans américain fin 2007 et une sortie dans le reste du monde entre l'année dernière et cette année, directement en vidéo...
Pourtant rien que le nom de Richard Kelly était un signe pour une sortie partout sans problème, Donnie Darko ayant été proclamé culte dès sa sortie et bénéficiant d'une côte de sympathie auprès de la presse et du public! Mais sans doute personne ne s'attendait vraiment à ce Southland Tales, un film, ou plutôt une expérience, qui ne ressemble à rien d'autre. Personnellement il m'a fallu deux visionnages et plusieurs semaines de réflexion pour réussir à l'assimiler, en partie seulement car des oeuvres aussi riches on n'en croise pas tous les jours!
Comme tous les films conspués de façon quasi unanime, Southland Tales est un film très intéressant. mais il est clair que Richard Kelly s'est laissé submergé par le projet... En effet ce n'est que son second long métrage et il fait preuve ici d'une ambition un peu folle à vouloir nous conter une fable sur la fin du monde. Le projet est tellement lourd avec ses 6 longs chapitres qu'il devra se contenter de filmer les 3 derniers, les 3 premiers se trouvant sous forme de bande dessinée, introuvable en France... mais on retrouve ces chapitres à l'ouverture du film, une ouverture sous forme de résumé qui nous balance des centaines d'informations en quelques minutes. Déjà que le film est complexe, si on n'est pas assez attentif ( et franchement même avec la meilleure volonté du monde à la première vision c'est impossible de tout saisir) on est perdu.
Et tout ce qui va suivre constitue une suite improbable de scènes, de tableaux qu'il est difficile de mettre en rapport les uns aux autres. Alors bien sur à la toute fin le fil principal est évident mais c'est le message qui est trouble, car en réalisateur très malin, Kelly nous fait focaliser sur des détails auxquels on cherche forcément une signification... Et c'est bien là un aspect du film qui le rapproche des travaux du grand David Lynch (une approche cartésienne de ses films empêche toute compréhension), tout comme le fait que la première fois on ne comprends rien mais on a cette envie impossible à réprimer de le revoir encore et encore pour en percer tous les mystères. Et des mystères il y en a!! Quel est le rapport avec Blanche neige? Car Nana Mae Frost porte un costume qui y ressemble et est entourée de 7 nains... A quoi sert le personnage de Bai Ling présente presque partout? Comment Pilot Abilene peut rester en poste pour surveiller la ville alors qu'il est recherché?... des questions à priori anodines mais il y en a des centaines comme ça...
Il y a là matériau à une réflexion presque infinie, c'est ce qui fait à la fois la force et la faiblesse du film car ça risque d'en saouler certains (beaucoup!). On peut aborder Southland Tales sous de nombreux angles... une enquête, un film politique, une fable écolo, une comédie, un conte apocalyptique, une romance, une réflexion religieuse, une critique sociale d'une Amérique en perdition... il y a en fait un peu de tout ça et encore plus. Personnellement j'y vois plus un conte philosophique sur le destin et le sens de sa vie mais ça risque de changer à la prochaine vision... en tout cas les thèmes sont nombreux et les genres cinématographiques brassés aussi, ce qui contribue à la non compréhension du film et à son rejet en bloc...
Mais où tout le monde devrait être d'accord c'est sur la réalisation en elle-même. Si la narration est chaotique, la mise en scène de Richard Kelly est impressionnante de fluidité. Il compose le moindre plan comme une toile de maître, à tel point qu'on pourrait y voir de l'auto-satisfaction et une certaine forme de prétention mais je préfère y voir simplement une virtuosité fascinante. Il accumule les scènes hypnotiques et les plans iconiques, faisant de son personnage principal une figure presque biblique. C'est vraiment très très beau, avec toujours un support musical approprié.
La musique tient d'ailleurs un rôle capital dans l'oeuvre, avec des scènes qu'on croirait sorties de comédies musicales. Les acteurs, dont le choix pouvait faire peur à la base (gros casting de seconde zone: Buffy, Stifler, the Rock, notre Cricri Lambert national., Justin Timberlake..) se révèle magique, Kelly étant donc également un excellent directeur d'acteurs!
Des images de fin du monde, un ton sarcastique et critique et surtout une complexité rare font de Southland Tales un film vraiment à part. Certains n'y verront qu'un étalage technique faussement indigeste et prétentieux, d'autres y verront un objet précieux et fascinant qu'on n'a pas fini d'analyser tant il regorge de détails et thèmes cachés... passionnant!