A Bout Portantde Don Siegel
The Killers version 1964 est la troisième adaptation de la courte nouvelle éponyme d'Ernest Hemingway parue en 1927. Les adaptations précédentes ont été signées par Robert Siodmak en 1946 pour ce qui restera comme l'un des chefs d'oeuvres du film noir classique, l'autre moins connue datant de 1958 et qui est en fait le court métrage de fin d'études, brillantissime, du grand Andrei Tarkovsky (Solaris, Stalker, Nostalghia...). Don Siegel avait refusé de réaliser le film en 46 et s'attaque 20 ans plus tard à son remake pour la télévision (d'où l'utilisation d'un format 1.37 ou encore les affreux effets de transparence dans les scènes de course auto, signes d'un manque de budget flagrant) qui à l'époque était en pleine concurrence avec le cinéma. En raison de sa violence, la diffusion TV est annulée et le film se retrouve en salles. Le résultat c'est une série B certes mais qui marque un tournant important dans la carrière de Siegel (l'influence sur ses films des années 70 est immense) mais qui stygmatise la révolution en marche dans l'industrie cinématographique.
En effet les années 60 marquent la fin de l'âge d'or d'Hollywood. La toute puissance des studios est en plein déclin et entre dans une sorte de folie mégalomane avec des budgets immenses et des films qui n'entrent plus dans leurs frais, ça donne Cléopatre, Lawrence d'Arabie ou le jour le plus long. Des grands films mais de grandes pertes sèches. A bout portant symbolise ce passage d'un cinéma purement spectaculaire à quelques chose de plus réaliste. Avant il y avait Cléopatre, après il y a eu Bonnie & Clyde, pour shématiser. Une représentation de plus en plus dure de la violence, de plus en plus crue, une remise en cause de plus en plus virulente des institutions... tout celà attendra son paroxisme à la fin des années 60, début des années 70 avec l'apparition d'oeuvres contestataires comme Easy Rider, MASH, Orange Mécanique... l'Amérique ne croit plus en ses symboles et ne croit plus en ce que dit le gouvernement, l'assassinat de Kennedy en 63 y est pour beaucoup.
A Bout Portant s'ouvre sur une séquence aussi froide qu'amorale, les deux tueurs venant assassiner quelqu'un dans un établissement pour aveugles, ils violentent des personnes handicapées sans vraiment de scrupules. Ce qui motivera l'ensemble du film, en plus d'une classique course après un butin d'un million de dollars, c'est le fait que Johnny North se soit laissé tuer, sans tenter de s'enfuir, sans réagir, comme si la mort ne lui faisait pas peur.
C'est le personnage de Lee Marvin qui sera central, accompagné de l'acteur de télévision Clu Gulager. Leur duo de tueurs fait plus penser à une relation maitre/élève, voir père/fils, qu'à une véritable association professionnelle. L'un étant déjà vieux et presque philanthrope, réfléchi, l'autre étant un véritable chien fou ayant besoin d'être contrôlé.
Au contraire de Siodmak, Siegel ne va pas s'intéresser à l'enquête de la police pour le meurtre de North, d'ailleurs les forces de l'ordre sont absentes du film, mais à celle des deux tueurs. Monté à coups de séquences flash-backs, A bout portant nous montre une belle galerie de personnages avec une intrigue qui, s'il elle n'est pas d'une originalité folle, se révèle passionnante sur le plan humain. La boxe des années 40 a laissé sa place aux courses automobiles, les noirs et blancs post-expressionisme laissent leur place à des couleurs en plein jour, on s'éloigne de l'esthétisation extrême du film noir et ses codes pour un film complètement ancré dans son époque. La figure de la femme fatale n'est plus aussi fatale et se révèle humaine avec de vrais sentiments grâce à la sublime Angie Dickinson.
Le casting est parfait, outre lee Marvin qui impressionne avec sagesse et classe, on retrouve John Cassavettes (à l'époque où il avait besoin de sous pour financer ses films) qui campe un Johnny North désabusé et un Ronald Reagan dans son dernier rôle au cinéma avant la politique, son seul rôle de salaud, qu'il a toujours détesté d'ailleurs!
Le film est violent et préfigure le ton de Dirty Harry, que ce soit dans les thèmes ou dans la mise en scène. On se doute dès le début que ça finira mal et en effet on a droit à une fin bien nihiliste, faisant de Marvin une véritable icône. Un film qui tord le cou aux codes en vigueur et un polar très mal élevé, grand film!
9/10