La Mauvaise Educationde Pedro Almodovar
Avec Tout sur ma Mère en 1999, il y a eu un bouleversement dans le cinéma d'Almodóvar. Il a délaissé tout le joyeux bordel qu'il trimballait de film en film depuis ses débuts les années 80, délires d'un artiste épris de liberté, pour se concentrer sur de vrais drames. Le deuil d'un enfant dans Tout sur ma mère, le coma dans Parle avec elle... des films qui gardaient une apparence colorée et des personnages exhubérants, signature du réalisateur, mais qui dans leur discours devenaient beaucoup plus graves, comme si Almodóvar avait finalement mûri et que son cinéma devenait enfn adulte, ce qui n'empêche pas tous ses autres films précédents d'être des merveilles!
Avec la mauvaise éducation, il continue dans cette voie tout en insérant des pans entiers de sa propre vie, sans que ça soit pour autant une autobioraphie. Un film qui parle d'un sujet délicat mais qui parle aussi de cinéma, de passion et d'amour...
Sujet délicat car comme déclencheur du récit il y a ce prêtre pédophile, qui va non seulement empêcher le jeune Ignacio de vivre ses premiers émois amoureux avec Enrique mais va bien entendu lui détruire sa jeunesse. Almodóvar aborde le thème avec beaucoup de pudeur mais reste objectif sur la perte d'innocence qu'entraine un tel acte barbare. Enfance avortée donc, symbolisée par cette image à la fois simple et pourtant lourde de sens du visage d'Ignacio littéralement déchiré en 2... Mais l'évocation de ces pratiques au sein des établissements religieux sous le régime de Franco, et qui a tant crée la polémique à la sortie du film (en plus de l'homosexualité, qui est pourtant au coeur de l'oeuvre du réalisateur...) n'est finalement utilisé que comme background aux personnages car le film dévie radicalement vers un des genres les plus codifiés qui soit, le film noir.
Le drame de l'enfance n'étant finalement là que pour expliquer la psychologie des uns et des autres.
Et Almodóvar quitte l'Espagne franquiste des années 60 pour la période de la Movida qui lui est si chère, quand la liberté a enfin été redonnée aux artistes de s'exprimer sans limites et que les moeurs des espagnols ont également changé. Et son film devient alors une intrigue alambiquée au possible, mélangeant réalité, film dans le film, mensonges... Le spectateur est habilement manipulé au point de ne plus savoir qui il voit à l'écran. Est-ce Ignacio, Juan, Angel ou Zahara qu'incarne Gael Garcia Bernal? On se le demande à chaque instant et à chaque révélation, alors qu'on avait la certitude d'avoir enfin compris...
Almodóvar utilise tous les codes du film noir: meurtre, femme fatale, détective privé qui est ici réalisateur de cinéma... mais en reprenant une esthétique haute en couleurs et qui tranche avec un générique d'ouverture qui ne laissait pourtant aucun doute sur le genre dans lequel s'inscrit cette mauvaise éducation!
On se fait manipuler dans tous les sens donc, et sans se douter de comment tout ça va finir, chose assez rare pour en profiter. Mais ça n'était possible que grâce à un scénario béton (d'Almodóvar lui-même), une mise en scène au diapason et une bonne direction d'acteurs. Et c'est le cas ici, le réalisateur réussit à tirer le meilleur du fabuleux Gael Garcia Bernal (en lui ouvrant au passage grand la porte pour sa carrière, comme il l'avait fait à l'époque avec Antonio Banderas) qui ne joue pas moins de 4 rôles, toujours ambigü au possible sur ce qu'il pense et ses intensions... Daniel Giménez Cacho n'est pas en reste avec le difficile rôle du père Manolo, véritable ordure qui en devient tellement pathétique.
Encore un grand film au compteur pour le réalisateur espagnol, complexe et virtuose, et qui réussit à nous laisser perplexe sur ce tout dernier plan... qu'entend-il par "passion"?
8.5/10 la même note que zack